XXe siècle (lots 82-117)
Importante correspondance au réalisateur argentin Manuel Antín (50 lettres), 1961-1970. [Avec :] Circe. Dialogues pour l’adaptation cinématographique [juin 1963].
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Description
Cortázar, Julio
Importante correspondance à Manuel Antin.
50 lettres signées. 1961-1970.
[Avec :]
Circe. Dialogues pour l’adaptation cinématographique de la nouvelle [juin 1963].
Exceptionnel ensemble d’un des plus importants auteurs sud-américains.
[1]. 50 lettres. 72 pages in-4 ou in-8 (de 290 x 210 à 105 x 203 mm). En espagnol. Les trois premières lettres sont signées "Julio Cortázar", les autres "Julio", une lettre non signée (fin manquante), 49 lettres tapuscrites dont une dizaine avec post-scriptum ou ajouts autographes, quelques petites corrections au stylo ou au crayon, une lettre entièrement autographe ; en espagnol.
Correspondance relative aux adaptations cinématographiques de ses récits, dont celles réalisées par son compatriote, l’écrivain et cinéaste Manuel Antin.
2 lettres sont illustrées de dessins.
La première rencontre entre Cortázar et Antin eut lieu à Paris, en 1961, lors du tournage du film d'Antin, La Cifra impar [Le Chiffre impair], d’après la nouvelle de Cortázar Cartas de Mamá. Ce film, sorti l’année suivante, fut très apprécié par l’auteur qui se réjouit de collaborer avec Antin.
Si de nombreuses lettres sont consacrées au cinéma – de L’Âge d’or de Buñuel au Mépris de Godard, de la Soupe au canard des Marx Brothers à Blow up d’Antonioni – elles témoignent surtout d’une grande amitié tissée par-dessus les océans – de Buenos Aires, où réside Antin, à Paris, la ville d’adoption de Cortázar – tout en s’émaillant de précieuses réflexions sur des questions littéraires, artistiques ou politiques, par exemple lorsque Cortázar condamne un capitalisme pourri, ignorant le chemin de l’avenir qui ne sera pas celui de l'URSS, mais pas non plus celui des États-Unis, espère-t-il ardemment.
Cette relation épistolaire s’intensifie lorsque les deux amis commencent à travailler ensemble, Antin ayant évoqué l’envie d’adapter la nouvelle de Cortázar "Los buenos servicios", ce qu’approuve l’écrivain le 10 juillet 1962, après avoir vu L’Ange exterminateur de Buñuel. Il décrit l’extraordinaire impression que lui a faite ce film, entre beauté et atrocité, béatitude et torture, tout comme l’a voulu Buñuel, "ese enorme hijo de puta al que estoy apretando contra mi corazon hasta rempérmelo" ["ce gros fils de pute que je serre contre mon cœur jusqu'à ma mort"]. Il se dit persuadé qu’Antin est également capable de faire du grand cinéma libre, différent du cinéma conformiste et d’Antonioni, du cinéma "astucieux" et de Chabrol ou "psychologique" et de Fellini. Antin peut faire un film passionnant et "en el fondo, absolutamente fantástica, en el sentido que yo le doy a lo fantástico, es decir lo inmediatemente cotidiano visto bajo una luz de revelación" ["dans le sens que je donne au fantastique, c'est-à-dire à l'immédiat quotidien vu sous une lumière de révélation"]. Son ami lui ayant également parlé d’adapter un de ses propres écrits, Los Venerables todos (Les Solitaires), Cortázar en pense le plus grand bien. Dans une longue lettre datée du 1er août 1962, il se dit impressionné surtout par l’ambiguïté "casi insoportable" du récit d’Antin, ambiguïté que seuls les Européens ont su créer jusqu’à maintenant, à la différence des idioties archétypales d’Hollywood ("la insalvable idiotez de Hollywood con sus arquetipos reconocibles desde que entran en escena"), une ambiguïté dostoïevskienne, vertigineuse et essentielle. La lenteur du déroulé de l’histoire pourra peut-être poser un problème, pas à lui puisqu’il est un grand admirateur de Dreyer, mais au public contemporain en raison du rythme adopté dans certaines créations du moment, comme dans Jules et Jim de Truffaut. Dans cette même lettre du 1er août, Cortázar approuve l’idée d’un nouveau titre, Anoche en la oscuridad, et le dit à Antin, en français : "Oui, monsieur, c’est une trouvaille".
En 1963, leur dialogue passionnant concerne un autre travail commun, l’adaptation de Circe, d’après l’une des nouvelles du recueil Bestiario. Le 11 avril 1963, il adresse de grands hourras à son cher Manuel en apprenant sa présence à Cannes [Los Venerables todos (Les Solitaires) représente l’Argentine au festival de Cannes de 1963]. Il espère qu’ils pourront se voir à cette occasion à Sestri Levante (Italie du Nord). Les deux hommes se retrouveront effectivement en Italie, à la fin du mois de mai, débuteront ensemble l’élaboration du scénario de Circe, échangeant idées et propositions à travers leurs lettres mais également grâce à des enregistrements de cassettes audios.
Les lettres permettent de suivre l’élaboration de ce nouveau projet commun et l’écriture de Cortázar : voir infra.
Conscient que la littérature et le cinéma sont deux choses bien différentes, il est satisfait de la façon dont ils arrivent à se comprendre et à trouver des solutions, et comment la hache de guerre à laquelle Antin pouvait s’attendre est remplacée par un calumet de la paix fumant ! En octobre 1963, satisfait du casting, dont la belle Gracelia Borges en qui il a toujours vu sa Delia, il demande des nouvelles du tournage qui se déroule à Buenos Aires.
Le 7 janvier 1964, avant les premières projections de Circe, il prédit à son cher Manuel le succès, certain de l’impact qu’une œuvre difficile et aristocratique peut avoir sur le spectateur, comme Beckett au théâtre, Alain Resnais au cinéma ou Musil en littérature. "Yo creo que en eso está el casi milagro de un Beckett en el teatro y de un Alain Resnais en el cine. Desde luego, ellos y vos le llevan años de evolución estética al público, pero esa distancia, que en otros creadores se convierte en una valla insalvable, y los condena a no ser comprendidos hasta mucho después de muertos, queda sin embargo anulada por ese misterioso ingrediente que conecta y comunica una experiencia estética. Un escritor como Musil, por ejemplo, está tan adelantado a su tiempo como Resnais lo está en materia de cine". Il est sûr, qu’après l’aventure vertigineuse et décevante de Los Venerables todos, le public va enfin pouvoir entrer dans le monde d’Antin, comme il est entré dans le monde d’Orson Welles et de Mizoguchi. Cependant deux mois plus tard, dans la lettre du 16 mars 1964, accusant réception des coupures de presse négatives transmises par Antin, Cortázar se révolte contre le bourbier du conformisme, du Dieu-Patrie et du Foyer et la pudibonderie des critiques qu’il traite de "hijos de perra" ["fils de pute"], comme il se désole des coupes qui ont été faites dans un film de Bergmann [Le Silence, censuré pour pornographie dans certains pays].
Absorbé par les livres, la peinture et son travail, il n’est pas allé souvent au cinéma, ayant trouvé mauvais L’Immortelle de Robbe-Grillet, et ayant eu la plus grosse dispute de sa vie avec sa femme Aurora à propos du Mépris de Godard car, s’il a aimé un certain érotisme froid et sadique, il a trouvé beaucoup trop de remplissage, de sophistication, et aucune justification à ce qu'un gentleman se promène aussi longtemps en robe et un chapeau ! Il avoue que le meilleur film qu’il ait vu depuis six mois, c’est La Soupe au canard des Marx Brothers et que cet aveu vaut bien un double whisky !
Il tente cependant de soutenir son ami qui doit faire face aux reproches qui sont faits à leur film, notamment de tourner le dos à la réalité nationale, bien que depuis qu’il a quitté l’Argentine, il ne la connaît plus guère, et que par ailleurs son point de vue sur le cinéma est celui d’un poète "que ve en el cine el equivalente visual de las metáforas del poema", rêvant d’une narration poétique, avec métaphore, analogies, récurrences et absurdités qui n'en sont pas et souhaitant que petit à petit, on atteigne un cinéma d’une totale liberté créatrice.
Plusieurs lettres datées de 1964 et 1965 concernent le nouveau projet d’Antin autour de deux autres nouvelles de Cortázar, L’Idole des Cyclades et Continuité des parcs [du recueil Fin d’un jeu]. Tout aussi détaillées que celles concernant leur travail commun sur Circe, ces lettres reflètent en revanche de plus grands désaccords artistiques. Cortázar pense que L’Idole ne conviendra pas si son ami n’aime pas les solutions fantastiques ou surnaturelles car le récit ne peut pas être réduit à un simple cas pathologique de frustration et de jalousie. Insistant sur la notion de magie et l’importance du surnaturel dans ses histoires, il avoue ses nombreuses réticences et perplexités – partagées par sa femme – sur les scripts que lui fait parvenir Antin, trop axés sur la psychologie. Il dit s’ennuyer devant les films d’Antonioni et de Fellini, qu’il qualifie "pervesemente" de romanciers du cinéma, à l’inverse de Polanski qui a su gérer un double courant, comme Bergman avec À travers le miroir par exemple, qui permet au spectateur sensible de découvrir ce qui se cache derrière la façade.
C’est finalement avec l’aide de deux scénaristes argentins, Hector Grossi et Raimundo Calcagno, qu’Antin poursuivra son film, tourné au Pérou et sorti à Buenos Aires, en juillet 1965, sous le titre La Continuidad de los parques.
Au printemps 1965, Cortázar a pu voir Intimidad de los parques et exprime de façon franche sa déception, triste et désolé de ne pas aimer cette œuvre très belle mais contenant trop d’éléments confus et incohérents, un film éloigné de ce qu’il a écrit – ce qui ne serait pas très important – mais surtout loin, selon lui, de ce qu’est Antin, en tant que réalisateur et en tant qu’artiste. Mais après avoir dit, à chaud, ce qu’il pensait, il espère qu’ils pourront bientôt se retrouver et mutuellement s’expliquer sur ce qui les sépare sur un plan "exclusivamente estético" (4 mai 1965).
Et toujours le cinéma alimente leurs échanges. Le 22 janvier 1966, après avoir vu trois fois Pierrot le fou dont il vante la subtilité et la poésie, il se dit persuadé qu’Antin rencontrera lui aussi le succès, se référant à la célébrité acquise par Godard dont on exhume et encense aujourd’hui les anciens films, passés inaperçus ou censurés à leur sortie. Et à la fin de cette même année, le 8 décembre, alors qu'il s’apprête à partir une nouvelle fois à Cuba, c’est du cinéaste Antonioni dont parle Cortázar et de Blow up, dont il ne sait quasiment rien. Un ami anglais, qui a assisté à la fin du tournage, lui a dit avoir été ébloui, mais sans doute par Vanessa Redgrave, ironise-t-il. Quant à lui, il ira simplement voir le film en payant sa place comme n’importe quel spectateur.
Dans toute cette correspondance, il est bien évidemment question des propres activités de Cortázar, de son travail comme traducteur pour l’Unesco (ce qui le conduit assez régulièrement à séjourner à Vienne), de ses écrits, avec l’évocation des fameux "cronopes" (Historias de Cronopios y de Famas). L’écrivain se désole que certains de ses livres soient épuisés, reportant la faute sur les libraires ("unos perfectos cochinos"), parle d’un essai encore inabouti sur une histoire de masques et de perruques. II envoie à Antin une nouvelle Los pasos en las huellas [qui ne paraîtra qu’en 1974 dans le recueil Octaedro], expliquant qu’il ne parvient pas à travailler lorsqu’il s’y astreint, mais qu’il peut écrire des choses formidables, en très peu de temps, lorsqu’il s’assoit dans un café, sans idée particulière. Il parle à plusieurs reprises du film El Perseguidor [d’après sa nouvelle L’Homme à l’affut], réalisé par l’argentin Osias Wilensky, de sa fascination pour la révolution cubaine (lettre du 10 décembre 1962) et du séjour qu’il y effectue en janvier suivant, admirable en tous points, ayant ressenti la joie des Cubains de se sentir libres, malgré la présence quotidienne d’une mort possible. Les nouvelles qu’il reçoit de la situation instable en Argentine lui font penser au monde créé par Borges dans le récit Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, avec les coups d’État qui s’y succèdent, entre sinistre et carnavalesque ("es entre siniestro y carnavalito", lettre du 10 juillet 1962) et le 8 décembre 1966, quelques mois après le putsch de la junte militaire, il commente le nouveau régime dictatorial qui se met en place : "una entrada definitiva en la etapa conservadora". À plusieurs reprises, il évoque son roman Rayuela [Marelle], sorti en 1963, le plus souvent sous son titre anglais Hopscotch et le tollé international que l’ouvrage a soulevé.
Il se confie également sur des sujets plus intimes, à propos de son épouse Aurora Bernárdez, de celle d’Antin, la décoratrice et costumière Ponchi Morpurgo, ou sur la mort de sa grand-mère maternelle, événement qui lui enlève momentanément le désir de se sentir vivant ("las ganas de sentirme vivir"), ce qui est la grande occupation de sa vie, avoue-t-il.
On relève le nom de plusieurs artistes, celui de Luis Buñuel donc, "un cronopio descomunal" [un énorme cronope] qui s'est proposé d’adapter la nouvelle de Cortázar Les Ménades, ou ceux de Jorge Luis Borges, Carlos Fuentes, Alejo Carpentier ou encore Nathalie Sarraute qui reçoit le Prix international de littérature en 1964, alors que lui-même était en lice pour le Prix Formentor, Cortázar écrivant de sa main, dans la marge de la lettre datée du 16 mai de cette année-là : "¡¡esas mujeres!!" ["Ces femmes !"].
Cette extraordinaire correspondance se clôt avec quelques lettres, plus espacées dans le temps après l’intensité de celles échangées pour leur travail en commun, mais toujours en relation avec le cinéma et la littérature. De Vienne le 8 octobre 1965, il se réjouit très affectueusement de la naissance de la fille de Manuel et de sa femme Ponchi, avant d’ironiser sur une proposition du cinéaste Antonioni souhaitant s’inspirer d’une de ses nouvelles, "Las babas del diablo", ce qui lui fera peut-être gagner de l’argent, mais sans savoir du tout ce qui restera de son texte [Blow up de Michelangelo Antonioni, sorti en 1966, est inspiré de cette nouvelle tirée du recueil Les Armes secrètes, paru en français sous le titre Les Fils de la Vierge]. Il évoque également un magnifique voyage qu’il vient de faire en Iran. En 1969, il s’étonne de l’intérêt que susciterait son roman Los Premios [Les Gagnants] pour le cinéma, puis évoque sa séparation avec Aurora, se sentant comme le personnage d’Edgar Allan Poe entré dans le maelström. Enfin, dans la dernière lettre, datée de Saignon dans le Lubéron, le 8 août 1970, Cortázar se désole que le film d’Antin, Don Segundo Sombra, en compétition à Cannes, soit si mal reçu, accusant l’industrie cinématographique et la bêtise du tribunal infernal siégeant sur la Croisette.
Deux lettres illustrées de dessins :
- Dans la marge de la lettre datée du 5 mai 1962, écrite au retour d’un voyage à Buenos Aires, Cortázar a dessiné une spirale taoïste et inscrit "EL YIN, EL YAN, ÉSO ES EL TAO".
- La lettre du 23 avril 1964 est agrémentée du dessin de trois cafards, au feutre noir, et de deux coupures de presse (en français), avec deux lignes autographes se référant au credo esthétique d'Oscar Wilde selon lequel la nature imite l'art !
Le premier entrefilet relate l’histoire d’une femme qui, pour faire une farce de premier avril, a déposé un cafard en plastique dans un verre de vin que le mari boit innocemment avant de devoir se précipiter à l’hôpital. Le second, titré "Baiser à la naphtaline pour se débarrasser de son amant", expose un fait divers s’étant déroulé à Messine (Sicile) : une jeune femme, désireuse de rompre avec son amant, empoisonne celui-ci en lui offrant des chocolats remplis de naphtaline, et déclarant avoir été heureuse de lui avoir donné "le baiser de la mort". Ces deux récits évoquent bien entendu l’histoire de Delia et de ses chocolats empoisonnés.
[2]. [Circe]. Dialogues pour l’adaptation cinématographique. [Juin 1963].
Tapuscrit, 45 feuillets in-4 de papier pelure, paginés 2 à 46 (manque la première page). Page de titre de la main de Manuel Antin : "Dialogos de Circe, escritos por Cortazar".
Script avec dialogues de l'adaptation cinématographique de Circé dans une des premières versions : le personnage de Raquel n’est pas encore présent alors qu'il le sera dans la version définitive.
Important tapuscrit du seul scénario de cinéma qu’ait jamais écrit Cortázar.
Ce texte est une véritable révélation : jusqu’à présent, on connaissait ses contes, romans, pièces de théâtre, articles de presse et lettres, voire un recueil de ses cours de littérature – mais aucun texte scénaristique.
Adaptation dialoguée de la nouvelle Circe, du recueil Bestiario, dans laquelle l’énigmatique et séduisante Delia Mañara, passionnée par la confection de liqueurs et de bonbons, objet de rumeurs inquiétantes depuis la mort mystérieuse de ses anciens fiancés, rencontre Mario, très amoureux d'elle, auquel elle tente d’offrir d’étranges chocolats farcis de cafards.
Cortázar donne les dialogues, avec quelques didascalies ("Escana del ‘espejo’, más o menos desde aquí o algo antes", p. 3; "Delia saca la pelota con la punta de la sandalia. Los chicos la miran un poco extrañados y se van", p. 5 ; "Más tarde", p. 6, 7, etc. ; "Aquí vi a conejo dentro de una jaula", p. 7 ; "Mario va a la playa y no encuentra a Delia", p. 12) ou indications destinées à Anin : "A juzgar por el guión, de 20 a 27 no hay diálogos ni frases sueltas. Por si fuera demasiada imagen sin el subrayado de algunas frases, aquí van algunas que eventualmente podrían ubicarse en las partes más adecuadas. Son como "leitmotifs" que conectan con episodios anteriores. Se pueden ordenar en la forma que se juzgue mejor." (p. 30) ; une très longue didascalie commente les derniers instants du film, après la dernière réplique, quand Mario avale un bonbon ("¿De qué es este bombőn? ¿Qué hay en este bombon?") : "Los cuchicheos suben de tono, son casi como una melopea mezclada con sibilancias, frases inconexas, mientras la camara retrocede y desciende hasta mostrar el gato que ha levantado la cabeza y está mirando fijamente, en momentos en que se oye un grito ahogado y un golpe como un cuerpo que cae. El aire está como crispado de sibilancias y cuchicheos, que alcanzan una tensión insoportablemente maligna, mientras el gato sigue mirando fijamente, y es el FIN" (p. 47).
Si les thématiques sont communes, obsession, perversion sexuelle, figure de la sorcière et de la femme fatale, des différences peuvent être soulignées entre la nouvelle et le scénario. Si, dans le film, le rôle des parents de Delia est plus explicite, la fin est en revanche plus équivoque. Là où Cortázar décrit un Mario, libéré de l’ensorcellement de la jeune femme qu’il tente d’étrangler, le film s’achève quasiment sans dialogue, avec des plans très rapprochés mêlés à une bande-son énigmatique, laissant au spectateur toute latitude pour résoudre le mystère. Parmi les nouvelles scènes, citons celle où Mario essaye de flirter avec Delia et tente à de nombreuses reprises, en vain, de l’embrasser. Les dialogues prennent aussi une autre profondeur, comme dans la scène où les parents de Mario rendent visite à ceux de Delia et expriment leur réticence face à la relation de leurs enfants, leur attitude est plus direct que dans la nouvelle, laissant planer plusieurs sous-entendus sans jamais nommer explicitement l’empoisonnement des fiancés.
Dans la succession des dialogues, page 37, Cortázar insère une note à l’attention d’Antin, expliquant qu’il s’autorise des libertés à partir de ce point car il ne "voit" pas clairement ce qu’ils avaient élaboré ensemble, lui proposant de prendre ce qu’il juge bon… tout en le priant de ne pas se moquer de ses dons de cinéaste : "A partir de aquí me es forzoso apartarme del guión original, pues me resulta imposible seguirlo en la forma en que lo planeamos en Sestri. No "veo" bien, y por consiguiente tampoco "oigo". Me ha parecido preferible seguir un poco por mi cuenta, para que luego vos decidas como te parezca mejor. En consecuencia, describo de manera muy breve la acción, y voy intercalando los diálogos. No te rías demasiado de mis dones de cineasta". ["À partir d’ici, je suis obligé de m’écarter du scénario original, car il m’est impossible de le suivre tel que nous l’avions prévu à Sestri. Je ne 'vois' pas bien, et par conséquent, je n’'entends' pas bien non plus. Il m’a semblé préférable de continuer un peu de mon côté, afin que tu décides ensuite ce qui te paraît le mieux. En conséquence, je décris l’action de manière très brève, en y intercalant les dialogues. Ne te moque pas trop de mes dons de cinéaste."].
La genèse de ce travail peut être reconstituée à partir des lettres. Le 11 avril 1963, Cortázar écrit à son ami : "Tu idea de filmar Circe me llena de secreto entusiasmo (lo de secreto es relativo, porque Aurora sabe cuánto me emociona esa posibilidad); desde luego, si te sigue interesando la idea, como me decís, contás plenamente conmigo para cualquier cosa. [...] Uno se sienta en la oscuridad, y entonces sale eso, tu obra, lo que vos has hecho con esa sutileza y ese sentido de los ecos y los espejos del corazón y del alma que me parecen lo mejor de tu sensibilidad." ["Ton idée de filmer Circe me remplit d’un enthousiasme secret (le mot secret est relatif, car Aurora sait combien cette possibilité m’émeut) ; bien sûr, si tu es toujours intéressé par cette idée, comme tu me le dis, tu peux entièrement compter sur moi pour tout. [...] On s’assoit dans l’obscurité, et alors naît cela, ton œuvre, ce que tu as fait avec cette subtilité et ce sens des échos et des miroirs du cœur et de l’âme qui me semblent le meilleur de ta sensibilité."]. Quelques jours plus tard, il poursuit : "Contás conmigo plenamente para Circe. Los diálogos suelen salirme bien en las novelas, y a lo mejor ocurre lo mismo en el cine, después que vos me dés un par de lecciones sobre la forma de enfocar la cosa. Lo bueno entre vos y yo es que no tenemos falsos orgullos (ni falsas modestias, que son todavía peores) y que podremos tachar, cambiar, tirar al canasto y recomenzar todo lo que haga falta hasta que nos salga al pelo" ["Tu peux entièrement compter sur moi pour Circe. Les dialogues me réussissent souvent dans les romans, et peut-être en sera-t-il de même au cinéma, une fois que tu m’auras donné deux ou trois leçons sur la manière d’aborder les choses. Ce qui est bien entre toi et moi, c’est que nous n’avons pas de fausse fierté (ni de fausse modestie, ce qui est encore pire) et que nous pourrons raturer, changer, jeter à la corbeille et recommencer tout ce qu’il faudra jusqu’à ce que ce soit parfait."] (23 avril 1963).
Leur travail commun à cette période consiste à élaborer l’argument du film, développé en scènes, et à décider quels éléments du conte original conserver et lesquels reformuler. Cortázar rapporta la première version à Paris pour y écrire les dialogues, qu’il enverrait par courrier. Le 17 juin 1963, après avoir reçu le script d’Antin écrit après les quelques jours passés ensemble à l’hôtel Balbi de Sestri Levante, Cortázar annonce avoir terminé les dialogues : "Apenas volví a París pasé a máquina tu guion y me puse a trabajar. Anteayer por la noche terminé los diálogos y empecé a copiarlos. Esta mañana, a la hora de llegarme tu carta, terminé la copia, y sólo me falta releerla." ["À peine revenu à Paris, j’ai tapé ton scénario à la machine et j’ai commencé à travailler. Avant-hier soir, j’ai terminé les dialogues et j’ai commencé à les recopier. Ce matin, au moment où j’ai reçu ta lettre, j’ai terminé la copie, et il ne me reste plus qu’à la relire."]. Il explique avoir enregistré une bande sonore pendant qu’il écrivait, contenant des commentaires destinés à Antin, comme pour prolonger leur dialogue de Sestri Levante. Il redit ce qu’il pense de l’accueil très mitigé fait à son précédent film, Los Venerables todos, sans doute trop typiquement sud-américain et manquant de clefs pour un public non averti, tout en ayant totalement confiance dans le travail de son ami.
Un mois plus tard, le 18 juillet 1963, après avoir reçu la nouvelle version du scénario d’Antin, Cortázar écrit : "Mirá, mi primera impresión es MAGNÍFICA, con todas las letras. Mi total discrepancia con el final que me has propuesto (y que se discutirá más abajo) no ha conseguido quitarme la sensación de que has logrado plenamente y con una tremenda hermosura lo que te propusiste. Circe es ya una película que nadie puede quitarnos" ("Écoute, ma première impression est MAGNIFIQUE, en toutes lettres. Mon désaccord total avec la fin que tu proposes (et qu’on discutera plus loin) ne m’a pas empêché de sentir que tu as parfaitement et avec une énorme beauté atteint ton objectif. Circe est déjà un film que personne ne pourra nous enlever"].
Selon, lui, le noyau ("el fuego central") est admirablement réalisé et qu’un grand nombre de choses se sont affinées et ont été "prismatisées", que le personnage de Delia est plus riche et plus complexe, tout en relevant des points de désaccord, notamment sur le style de certains dialogues, la psychologie du personnage de Mario – un adolescent attardé et victime-né selon lui – ou encore celui de Raquel, personnage ajouté par Antin, comme un double de Delia-Circé mais qui devra être mieux exploité et moins vulgaire si l’on veut renforcer la dimension tragique de l’histoire. La fin doit être celle dramatique et insoutenable de suspense qu’ils ont imaginée ensemble à Sestri Levante, souhaitant un climat de perversité victorieuse totale ("un clima de una total perversidad vencedora"). Cortázar reprend donc plusieurs séquences et dialogues, indiquant tout ce qui lui semble trop répétitif, trop évident et contraire à l’atmosphère oppressante et malsaine souhaitée.
Dans une lettre à un autre ami, Cortázar raconte son travail avec Antin à Sestri Levante : "Yo adelantaba una sugestión cualquiera sobre el cuento, y de inmediato Antin se quedaba como en trance, los ojos perdidos en el aire, y después se convertía en una cámara, es decir que empezaba a narrar imágenes, secuencias, la una saliendo de la otra como el desarrollo de todos los elementos de un árbol, desde el tronco hasta la hoja más pequeña, para volver finalmente al tronco. Una imaginación puramente visual es algo extraordinario, y mi trabajo con Antin me ha enseñado en pocos días a ver de otra manera el cine, a verlo desde dentro y no como un mero espectáculo." ["Je proposais une suggestion quelconque sur le conte, et aussitôt Antin entrait comme en transe, les yeux perdus dans le vide, puis il se transformait en caméra : il commençait à raconter des images, des séquences, l’une sortant de l’autre comme le développement de toutes les parties d’un arbre, du tronc jusqu’à la plus petite feuille, pour finalement revenir au tronc. Une imagination purement visuelle est quelque chose d’extraordinaire, et mon travail avec Antin m’a appris en quelques jours à voir le cinéma autrement, de l’intérieur, et non comme un simple spectacle."] (lettre à Jean Bernabé, 13 juin 1963).
[On joint :]
Photocopie d’une lettre dactylographiée à Julio Cortázar. Buenos Aires, 31 mars 1965.
Relative aux réserves émises par l’écrivain sur le film Intimidad de los parques.
Nous remercions messieurs Diego Sabanes et Mariángeles Fernández, spécialiste de la vie de Julio Cortázar et auteur notamment de Manuel Antin / Julio Cortazar viaje de la literatura al cine (Del Centro Editores, 2019) pour leur aide sur le caractère novateur et inédit du scénario de Cortazar.
Manuel Antin, par descendance.
Maria Lyda Canoso, "Cartes de cina", de Julio Cortázar a Manuel Antin. 1995. 10 lettres de l'ensemble ne figurent pas dans cette édition.
M. Mullaly, Julio Cortázar et Manuel Antin : littérature et cinéma argentins des années 60, Lille, 2008.
M. Zangrandi, "Antin / Cortázar: cruces y destiempos entre la escritura y el cine" in Cuaderno 61. Centro de Estudios en Diseño y Comunicación, 2017, en ligne : https://ri.conicet.gov.ar/bitstream/handle/11336/82591/CONICET_Digital_Nro.a46696f0-a326-465d-b743-a1c724e1ca98_d.pdf?sequence=5
Cinthia V. Rajschmir, Cortázar and Antin : Enlightened Letters. Film documentaire, 2019, voir : https://www.youtube.com/watch?v=p5913pU_-3E
Sur Manuel Antin, voir notamment : https://www.cinematropical.com/cinema-tropical/in-memoriam-manuel-antn-beacon-of-argentine-cinema-dies-at-98
Romancier, dramaturge et poète, Manuel Carlos Antin (1926-2024) a réalisé douze longs métrages entre 1960 et 1982, dont trois inspirés par des récits de Julio Cortázar (qui n’aura pu voir que le premier La Cifra impar, les deux autres bien que présentés au festival de Cannes, ne furent pas distribuées en France à l’époque). Ses films se rattachent au mouvement cinématographique argentin connu sous le nom de "Generación del '60", avec une esthétique proche de la Nouvelle Vague française. Il est également l’auteur de plusieurs documentaires et films historiques. Directeur de l'Institut national du cinéma et des arts audiovisuels de Buenos Aires et fondateur d’une académie d'études universitaires consacrée à l’art cinématographique, il œuvra pour le développement et la reconnaissance du cinéma argentin.
"His ability to translate the complexities of Cortázar's literary world into cinema was marked by unique sensitivity, making Antin one of the most distinctive voices in Latin American filmmaking. His collaborations with Cortázar—conducted through letters and recordings while the author lived in France—were a testament to the mutual respect between the two artists and the intellectual depth of their partnership." (In Memoriam: Manuel Antin, Beacon of Argentine Cinema, Dies at 98).
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