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De la collection Pierre Amrouche et Suzanne Amrouche-Molbert (lots 59-81)

Gide, André

80 lettres, la plupart autographes, à Jean Amrouche. 1928-1950. Superbe correspondance littéraire et amicale couvrant presque trois décennies.

Lot closes

June 18, 01:02 PM GMT

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15,000 - 20,000 EUR

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12,000 EUR

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Lot Details

Description

Gide, André

80 lettres signées, la plupart autographes, à Jean Amrouche.

19 novembre 1928-23 décembre 1950.

 

160 pages in-4, in-8 ou in-12 (270 x 210 à 100 x 150 mm), dont 6 dactylographiées, 4 cartes postales ou cartes-lettres, 10 enveloppes, quelques feuillets à en-tête dont ceux de L’Arche et de Ides et Calendes. La grande majorité de ces lettres sont montées sur onglets de classement avec trous de classeur.

 

Exceptionnelle correspondance à l’écrivain, journaliste et homme de radio Jean Amrouche.

 

Avec quelques documents joints dont plusieurs notes ou brouillons de Gide, sur Giraudoux, le Liban ou la musique.

 

Issu d’une famille kabyle, établie à Tunis dans le Protectorat français de Tunisie quelques années après sa naissance, Mouhoub-Jean Amrouche (1906-1962) poursuit une brillante carrière littéraire et radiophonique, d’abord à Alger puis à Paris, fondant notamment la revue L’Arche, à la veille de la Libération, et inventa un nouveau genre radiophonique avec une série de grands Entretiens qu’il mena notamment avec Giono, Mauriac, Claudel et André Gide. Gide était devenu un guide moral et littéraire dès la lecture de L’Immoraliste et des Nourritures terrestres qu’il découvre à l’âge de 18 ans, puis un véritable ami après leur rencontre lorsque Gide se réfugie en Afrique du nord en 1943 et un soutien intellectuel, parfois financier, quasi indéfectible pour les diverses entreprises de Jean Amrouche.


On découvre une relation unique, entre deux hommes que presque trente années séparent, grâce à leur correspondance croisée établie par Pierre Masson et Guy Dugas, où ces lettres de Gide ont été publiées (à l’exception de celle datée du 9 janvier 1945 et de deux brefs billets au crayon, datant de la période algéroise de Gide), et dans laquelle s’exprime toute la dualité culturelle à laquelle Amrouche dut se confronter sa vie durant, écrivant à Gide : "Dès ma toute première enfance, j’ai éprouvé la sensation, tantôt simplement gênante, tantôt insupportable, d’être à part, non accordé au milieu où je vivais. Chrétien parmi les hommes de ma race, berbère et ‘bicot’ parmi les Européens, singulier et inquiétant aux yeux de tous, mieux que personne, vous devez comprendre combien cette situation peut engendrer de douleurs, à quel point l’on peut se sentir seul, inexplicable à autrui, et en quelque sorte, maudit".


La première lettre de cet important ensemble, datée du 19 novembre 1928, répond à une longue missive d’Amrouche qui vient d’achever ses études à l’École Normale d’instituteurs de Tunis et qui s’apprête à effectuer son service militaire. Le jeune homme s’est adressé à Gide une semaine plus tôt, espérant qu’il puisse le délivrer de ses tourments et de ses incertitudes, s’étant décrit (citant l’Apocalypse) comme un pauvre enfant aveugle et nu, comparant la lecture de L’Immoraliste à une seconde naissance, puis ayant évoqué notamment une autre découverte, celle de l’œuvre de Paul Claudel.

André Gide exprime la sympathie qu’il éprouve depuis longtemps pour les Kabyles, étonné mais touché d’avoir trouvé chez l’un d’entre eux un écho profond "des pensées et des préoccupations qui me tiennent le plus à cœur", se disant particulièrement attentif à tout ce que la terre d’Afrique n’a pas encore exprimé : "l’assourdissante prolixité de certains peuples bavards couvre désespérément la voix de ceux qui ne peuvent se faire entendre". Quant à Claudel, s’il parle de rapports cordiaux, "depuis longtemps, nous avons cessé de nous écrire, lui, désespérant de me convertir, moi, soucieux de retrouver ma liberté de pensée que son ardent prosélytisme opprimait gravement".

Tout au long des mois qui suivent, Amrouche lui confie ses ambitions d’homme et d’écrivain en devenir, souhaitant être davantage que le poète de l’Afrique et accomplir une action sociale et littéraire. Gide lui répond amicalement, tout en émettant certaines réserves et avouant n’avoir pas toujours le temps de faire tout ce qu’il doit faire.

"Je voudrais pouvoir vous aider ; mais je me sens, hélas ! bien peu qualifié pour le faire, n’ayant guère vécu que dans le monde des idées, et restant extrêmement maladroit dès qu’il s’agit de mettre en œuvre et en pratique [Amrouche a ajouté dans la marge : "Et Le Retour du Tchad ? Et le Voyage au Congo ?"]. Mais, sans doute, avez-vous tout autant besoin de sympathie que de conseils et vous savez désormais que vous pouvez compter sur la mienne" (8 février 1929).

"Oui, ce mot unique que chacun de nous naît pour dire, il me semble que je ne l’ai pas encore prononcé, que je n’ai fait jusqu’à présent que préparer sa place, creuser une alvéole où pouvoir le poser, le couler, de sorte que sa forme même ne peut encore se découvrir dans mon œuvre qu’en négatif" (24 juin 1929).

Après avoir reçu une lettre d’Amrouche dans laquelle il est longuement question de spiritualité, Gide se montre à la fois amical et cassant, estimant qu’ils n’auraient rien à se dire s’ils venaient à se rencontrer : "Je ne peux plus et ne veux plus causer qu’avec des gens qui soient de mon avis. J’ai passé plus de quarante ans à écouter de préférence les opinions contraires et adverses ; mes amis de gauche (qui depuis se sont convertis) me l’ont suffisamment reproché, dans le temps, d’entretenir des ‘intelligences avec l’ennemi’. L’ennemi, dans ce temps, c’était pour eux les catholiques […] Que ne cherchez-vous à rencontrer plutôt Claudel lui-même ? ou Maritain, ou Mauriac, ou Ghéon, ou Charles Du Bos, ou Gabriel Marcel, ou etc. etc. ?" (22 juillet 1929).

Cette réaction de Gide semble avoir conduit à une interruption de plusieurs mois de leur échange, malgré une carte amicale datée de Nefta le 4 décembre 1930 lors d’un voyage en Tunisie, en compagnie d’Élisabeth van Rysselberghe. 

Amrouche lui ayant annoncé la parution de ses premiers poèmes dans la revue Mirages [tenue par son ami Armand Guibert, professeur à Sousse], Gide lui répond affectueusement le 18 novembre 1932 : "J’avais pu craindre que mes derniers écrits ne vous aient détourné de moi. C’est pourquoi je vous sais gré de m’écrire comme vous faites […] Je lis avec intérêt votre poème ; il me plaît de vous entendre dire que vous n’en êtes pas très satisfait. Je crois en effet que vous pouvez faire beaucoup mieux. Mais je suis loin de le trouver mauvais". Et une année plus tard, il commente à nouveau un poème d’Amrouche : "Votre poème ne me plaît qu’à moitié […]. Il me semble que vous voulez trop y exprimer et ne vous abandonnez pas assez à la dictée de cette musique intérieure qui, pourtant, de-ci, delà, vous inspire quelques accents émouvants".


À nouveau, la correspondance s’interrompt pour ne reprendre qu’au printemps 1939, alors qu’Amrouche, professeur au lycée Carnot de Tunis, a sollicité un entretien, souhaitant témoigner publiquement de son admiration qu’il lui porte dans l’une de ses conférences ("Je crois toujours en vous. Il ne s’agit pas seulement d’admiration. C’est un sentiment plus profond qui participe de la foi et de la reconnaissance"). Gide lui répond de Louxor, évoquant le livre d’Amrouche (Les Chants berbères, paru à Tunis et qui lui est dédié) qui l’a frappé par son caractère d’authenticité, puis les deuils qu’il a traversés, ceux de sa belle-sœur Valentine et de sa femme Madeleine. "J’ai vécu depuis dans un état d’incertitude ou de demi-rêve, de désintéressément de moi-même et de tout ce qui m’amène à douter souvent de la réalité de qui m’entoure".


Puis ce sont les années de guerre et la rencontre des deux hommes, à Tunis, où Gide se réfugie au début du mois de mai 1942, devenant un ami proche de la famille Amrouche qu’il côtoie régulièrement, entre deux séjours en Algérie ou au Maroc, et un partenaire régulier pour de nombreuses parties d’échec. Jean Amrouche, qui affirme que la présence de cet aîné tant admiré l’aide à vivre et à supporter "l’avilissement de l’attente inactive et cette longue éclipse de la pensée", tente de mettre sur pied un programme de manifestations culturelles ("Je voudrais essayer d’orienter la propagande française en Afrique du Nord. Car, ne nous y trompons pas, la France me semble accumuler les erreurs de psychologie. Il est remps de redresser courageusement tout cela"), mais surtout il travaille assidûment au lancement de L’Arche, revue littéraire mensuelle dont le premier numéro paraît à Alger en février 1944, imprimée par l’éditeur Charlot, sous le patronage de Gide et qui connaîtra 28 numéros.

De Fès, Gide suggère quelques légères modifications au texte d’Amrouche prévu comme le Manifeste de la revue, mais ne peut rien promettre pour le premier numéro. "Je ne sens plus en moi que des larves de pensées, plus rien que d’aptère. Depuis la Tunisie, j’ai cessé de tenir mon Journal. Depuis Alger plus rien écrit et même plus senti le désir de rien écrire" (21 septembre 1943).

"Comment ferais-je ici ce que je n’ai point fait ni voulu faire pour la NRF dont pourtant je connaissais tous les collaborateurs ! Votre Manifeste suffit ; me paraît, à le relire, excellent ; je n’ai rien à y ajouter. Enfin, si cette revue ne peut se passer de moi, c’est qu’elle n’est pas viable. Pour transfuser du sang, on ne choisit pas des vieillards. […] Donnez-moi quelques jours ; et j’espère pouvoir vous envoyer mes vocalises […]. La désunion actuelle des Français me consterne et m’assombrit. Puisse L’Arche obtenir un peu de concorde" ([Rabat], 10 novembre 1943).

Gide envoie finalement une première contribution pour la revue : dans L’Appel, il dénonce la division entre Français et espère que L’Arche pourra la vaincre en réunissant tous les Résistants, quelles que soient leur tendance et leur religion. "Mais, je vous le répète : ne lancez le navire que si vous êtes assuré qu’il peut flotter – et qu’après vous être assuré de munitions suffisantes. Il s’agit, non point de paraître à tout prix, mais bien de ne pas décevoir, ce qui risquerait d’avoir des conséquences désastreuses".

De Fès, le 8 janvier 1944, il approuve le sommaire prévu, espérant que son texte a répondu à ses justes critiques "et à celles de Celui [le général de Gaulle] chez qui j’étais heureux d’apprendre que vous aviez déjeuné", tout en s’inquiétant d’une rumeur concernant la parution non autorisée de quelques pages de son Journal dans Fontaine, la revue de Max Pol Fouchet, dont il souligne par ailleurs l’outrecuidance de certaines déclarations.

Après avoir travaillé durant la première moitié de l’année 1944 pour la radio d’Alger, devenue Radio-France au printemps 1943, Amrouche gagna Paris à l’automne, chargé de mettre en place un dispositif afin de coordonner les activités intellectuelles des différents groupes de la Résistance, mais surtout dans le but de faire connaître L’Arche en métropole et d’obtenir la collaboration des grandes signatures qui avaient fait la renommée de la NRF.

D’Alger, le 2 octobre 1944, Gide lui annonce que sa femme Suzanne a heureusement accouché d’une petite fille, avant de s’inquiéter de la disparition de leur ami Fernand Pistor [tué le 25 août 1944, à Marseille] et de la progression de l’épidémie de peste qui s’étend en Afrique du Nord.

Le 31 décembre, il est question du probable accord de Jean Paulhan et d’Albert Camus de faire partie du comité directeur de L’Arche, et d’articles de Gide qu’Amrouche est chargé de faire publier. "Je suis heureux d’avoir vu paraître à Combat (plutôt qu’au Figaro ma ‘réponse à l’Enquête’ écourtée. Ce que je regrette un peu, dans ces amputations que vous a dictées la prudence, c’est que plus rien ne laisse voir que ce texte a été écrit avant l’attaque d’A[aragon]. Amrouche d’ailleurs félicitera Gide pour cette collaboration avec Combat "qui groupe aujourd’hui les meilleurs, les plus purs, des jeunes écrivains".

Gide demande à Amrouche de faire passer à Camus sa critique du livre de Julien Benda (La Grande Épreuve des Démocraties) ; article qui parut dans Combat le 8 janvier 1945, sous un titre choisi par Camus lui-même "la justice avant la charité". Gide demande des nouvelles de son article et des remous éventuels qu’il pourrait provoquer, mais s’inquiète de penser qu’on pourrait le croire infidèle au Figaro et aimerait proposer à ce journal sa Rencontre à Sorrente [compte-rendu d’un bref séjour que Gide fit en Italie en compagnie de Robert Levesque en août 1944]. Il charge donc Amrouche de décider avec le directeur du Figaro, Pierre Brisson, et avec Jean Schlumberger si ce texte peut paraitre sans trop de danger. "Je crains que, protestant contre le slogan : croire, obéir, combattre, il ne soit de nature à déplaire violemment aux communistes – et aux catholiques" (9 janvier 1945).


Les sept lettres suivantes, les dernières à être envoyées d’Algérie – avant que Gide ne retourne en France – concernent d’autres textes et articles, Gide ayant été sollicité par plusieurs organes de presse renaissants dont Carrefour, Volontés, La Table Ronde. Il souhaite notamment apporter une réponse à ce fameux article publié dans Combat sous le titre imposé par Camus et qui s’intitulerait cette fois : "Justice ou Charité". Il est aussi question de représentations d’Antoine et Cléopâtre dans la traduction de Gide, d’un article sur Saint-Exupéry [disparu en mer six mois plus tôt], d’une importante étude sur le peintre Nicolas Poussin, de la composition des numéros 6 et 7 de L’Arche, le n° 6 lui paraissant "un peu encombré par Bosco, mais tant pis" [Le Mas Théotime, paru en préoriginale en sept livraisons, allait obtenir cette année-là le Prix Renaudot]. Gide fait allusion à la voix chaleureuse d’Amrouche qu’il a plaisir à entendre à la radio, à la concurrence que la revue fondée par Robert Aron, La Nef, pourrait représenter pour L'Arche. Il commente la proposition que lui a faite l’éditeur Aimery Somogy d’une édition illustrée de sa traduction d’Hamlet, proposition qu’il a refusée en se targuant de l’exclusivité consentie à Jacques Schiffrin, et bien sûr demande des nouvelles de Paris : "vous devez avoir les nerfs surtendus, par les passions, les évènements, et le froid".

 

De retour en France, Gide s’entretient avec Amrouche du contenu des numéros de L’Arche pour lequel il préfère notamment proposer, au lieu d’un extrait de sa traduction de Hamlet, "l’importante étude sur Valéry qui m’occupe présentement et que j’espère achever dans quelques jours".

D’Égypte où il séjourne de janvier à mars 1946 pour une tournée de conférences qui se poursuivra au Liban en avril, il regrette les difficultés que rencontre la pensée française pour se faire connaître au Moyen-Orient, ce qu’on serait en droit d’espérer et d’obtenir. "Mais c’est pitié que la lenteur des courriers, et la carence des publications françaises laissent insatisfaites les curiosités, les attentes et secondés les efforts de propagande tandis que les Anglais inondent le marché de leurs livres, à des prix sensiblement inférieurs aux nôtres. […] Aucune offre pour répondre aux incessantes demandes" (Louxor, 2 janvier 1946).

Et toujours, il donne conseils et avis pour la composition des numéros de L’Arche, ayant par exemple apprécié un article de Dominique Aury sur Georges Simenon (3 août 1946) et proposant de s’intéresser à une traduction du Voyage en Orient [Morgenlandfahrt] d’Hermann Hesse. Malgré tous les efforts d’Amrouche pour maintenir à flots sa revue, victime des déboires financiers que traversent alors les éditions Charlot, elle ne connaîtra que 28 numéros, subsistant quelque temps en tant que maison d’édition – avec par exemple la réédition des Notes sur Chopin sur grand papier (voir lot 35) – avant qu’Amrouche ne cède le nom de l’entreprise à son ami Robert Voisin qui se spécialisera dans l’édition théâtrale.

De Neuchâtel, Gide fait allusion au Prix Nobel qui lui a été décerné le 13 novembre 1946 en évoquant ce qu’en a dit Amrouche lors d’une émission radiophonique : "c’est bien cela que je pouvais souhaiter que l’on pense de moi. J’entends votre voix et il m’est amicalement doux de vous devoir, à vous, cet éloge". Et c’est de Suisse toujours, où il séjourne plus longtemps qu’il ne le voudrait en raison de son état de santé, qu’il avoue vivre au ralenti et souvent faire semblant de travailler. En 1948, il se repose en Italie puis à Mougins, et travaille à une adaptation cinématographique de son roman Isabelle avec Pierre Herbart et Marc Allegret. "Je réserve pour Isabelle le peu de vigueur dont je peux encore disposer. Forcé d’être peu généreux, l’on a moins de plaisir à vivre. Je me maintiens à flot qu’en comptant sans cesse".

Hospitalisé à Nice pour une infection hépatique, il ne tarit pas d’éloges sur les entretiens radiophoniques menés avec Amrouche de janvier à avril 1949, d’autant qu’il en reçoit des sommes "très bienvenues", et diffusés au mois d’octobre suivant. "Prodigieux, le foisonnement de nos entretiens ! Mais quel travail pour vous dans ce qui ne m’apporte que du plaisir ! Vous serez le seul à penser que vous auriez pu obtenir de moi mieux ou plus. J’ai parlé plus et mieux avec vous que je n’aurais fait avec aucun autre". Cependant le travail de leur transcription lui parait difficilement réalisable : "à moins de tout réécrire à neuf (et c’est un énorme travail dont je ne me sens pas actuellement capable, et qui, au surplus, ne me paraît pas souhaitable) ces propos (je parle des miens) restent confus, diffus, vaseux, vraiment indignes de moi, en tant qu’écrits. J’insiste sur ces trois derniers mots. Car ce que j’en dis reste, je pense et j’espère, sans application pour la radio" (11 septembre 1949).

Durant l’année 1950, Gide séjourne à Nice, Saint Paul de Vence, Juan-les-Pins – accueilli un temps par Florence Gould dans la villa L’Oiseau bleu – ainsi qu’en Sicile et en Italie, travaillant à la refonte des Caves du Vatican pour une adaptation, créée à la Comédie Française sous la direction de Jean Meyer, et toujours s’inquiétant de l’avenir de L’Arche, suite au dépôt de bilan des éditions Charlot.

L’avant-dernière lettre de cet ensemble, datée du 8 novembre 1950, est consacrée à la relation de Gide et de François Reymond de Gentile, le fils des amis d’Amrouche qui accueillirent Gide à Tunis en 1942. Amrouche a transmis à Gide une copie du récit de Reymond de Gentile qui relate des agressions sexuelles de la part de l’écrivain, en réponse à la description peu flatteuse que Gide a fait de lui dans son Journal (voir lot 34) sous le nom de Victor, celle d’un adolescent mutique et hostile. Gide affirme n’avoir rien tenté pour alarmer le garçon et n’avoir jamais "bramé" après quelqu’un, donnant sa propre version des faits qui lui sont reprochés.

L’Envers du Journal de Gide parut sous le pseudonyme de François Desrais en décembre 1951, quelques mois après la mort de l’écrivain.


Cette importante correspondance est émaillée des noms des cercles familiaux, amicaux et professionnels de la famille Amrouche et d'André Gide. On peut citer en exemple Pierre Herbart, Maria ("la Petite Dame") et Elizabeth van Rysselberghe, sa fille Catherine, Jean Lambert le mari de cette dernière, Yvonne Davet, secrétaire dévouée et envahissante, l’éditeur Richard Heyd, Claude Mahias, Marc Allégret, Roger Martin du Gard, Jean Schlumberger ou Jacques Schiffrin, installé comme éditeur à New York.

 

 [On joint :]

 GIDE, André

- Lettre autographe signée à de chers amis. [Alger] 16 mai 1943 (1 page in-8). Relative à une éventualité de partir pour les États-Unis. "Possible que je rejoigne bientôt les Heurgon ; puis, peut-être, les Schiffrin, en attendant de pouvoir vous rejoindre vous-mêmes, amies et amis vers qui vont toutes mes pensées. Puisse Naville veiller sur le Vaneau ! Transmettez-lui mes affectueux messages – ainsi qu’à Loup [Aline Mayrisch] et qu’à Jean S[chlumberger]. For ever yours"…

- Manuscrit autographe [février 1944] (3 pages in-4, avec ratures et corrections). Sur Jean Giraudoux dont les journaux lui ont appris la mort [survenue le 31 janvier]. "Le ciel de France en est tout assombri". Gide parle avec émotion du doux rayonnement, de la subtile force de persuasion de cet enchanteur souriant dont les qualités exquises transparaissaient dès son premier livre Les Provinciales. "C’est sans réserves que je le louerais d’avoir avec autant de bonheur désembourbé notre littérature des fondrières du naturalisme".

- Deux manuscrits autographes dont un signé et daté, au crayon, "Alger mars 1944" (1 page et 1 page ½ in-4). Brouillon et mise au net d’un texte sur la musique, comparant les productions françaises à celles des autres nations européennes. "la France est la patrie des peintres et des dessinateurs avant d’être celle des musiciens. Douze peuples, en Europe, sont plus naturellement doués pour la musique, que ne l’est le peuple français. […] Mais la musique française échappe précisément à la démesure ; mais elle a su garder et protéger sans cesse la personne humaine dans ses rapports avec le divin. Sans exceptions, me semble-t-il, nos compositeurs français surent demeurer, dans le lyrisme, artistes autant que musiciens. Beaucoup plus près d’Apollon que de Marsyas".

- Copie dactylographiée d’une lettre adressée à Jean Schlumberger d’Alger le 1er août 1944, recommandant très chaudement Amrouche à ses amis de France et lui donnant accréditation auprès de sa banque pour obtenir les subsides nécessaires pour L’Arche. Avec billet autographe signé de Jean Schlumberger transmettant cette copie à Amrouche "que Gide vous avait remis pour moi à votre départ d’Alger" (demi-page in-4, datée du 14 avril 1951).

- Deux manuscrits autographes [Beyrouth, avril 1946] (3 pages in-4 et 1 page in-8). Lors d'un séjour au Liban. Brouillon d’une intervention radiophonique sur Radio-Liban. "Dans les deux sens du mot, l’amitié des Pays du Levant nous oblige. Il nous faut la mériter sans cesse à neuf ; ne pas nous contenter du passé, si beau qu’il puisse être, mais bien y trouver une invite constante à donner et présenter de nous le meilleur". Fragment de la conférence prononcée le 14 avril évoquant les liens anciens qui unissent la France au Liban, la beauté de cette terre antique et l’accueil qui lui est fait. "Je sens, de toutes parts, ici, combien le Liban participe à notre culture. Et rien de plus naturel, car notre culture a pris élan sur votre sol et votre passé".

- Note autographe, en grande partie biffée. Sans date (½ page in-4). "Ces réflexions peuvent être indéfiniment prolongées"… À propos des conseils que de nombreux jeunes lui demandent et qu’il n’aime guère donner, Gide cite un mot de Mme de Sévigné : "Quand je n’écoute que moi, je fais des merveilles".

- Copie dactylographiée d’une réponse de Gide à André Sabatier [directeur littéraire chez Albin Michel], Paris 31 janvier 1948, avec la lettre que ce dernier lui a adressée concernant les droits de la préface écrite pour The Private Memoirs and Confessions of a Justified Sinner, reprise pour la première traduction française du roman de James Hogg par Dominique Aury, qui paraîtra sous le titre Confession du pécheur justifié en septembre 1949, aux éditions Charlot.

- Brouillon autographe d’un télégramme à Paul Herpe [producteur de vins]. "Poste restante. Montpellier / Bon courage affectueux souvenir".

 

LEVESQUE, Robert. Fragment d’une lettre autographe signée à Jean Amrouche, avec un ajout autographe. [Début 1946] (1 page in-4). Pendant le voyage en Égypte et en Grèce qu’il effectue en compagnie de Gide, au cours duquel tous deux cherchent à faire connaître L’Arche à la jeunesse lettrée de ces deux pays : "Vous conquerrez la plus solide position". Avec post-scriptum autographe signé de Gide : "Il y a loin du cœur à la plume et je ne trouve rien à vous dire que ma profonde et constante affection".

 

MANN, Thomas. Lettre tapuscrite signée en français, avec post-scriptum autographe, en allemand puis en anglais, à André Gide. Pacific Palisades, California, 9 août 1944 (2 p. in-4). Après avoir remercié Gide de ce qu’il a écrit à propos de Lotte in Weimar, il accepte avec honneur et plaisir de collaborer à L’Arche, proposant dans un premier temps un court essai sur le pasteur Niemöller. En post-scriptum, il annonce la récente parution du dernier volume de sa tétralogie sur Joseph, qui a été distingué par The Book of the Month Club. 

Gide & Amrouche. Correspondance 1928-1950. Édition établie par P. Masson et G. Dugas. Presses Universitaires de Lyon, 2010.

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