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Dubuffet, Jean

Correspondance amicale à Henri Michaux : 8 lettres autographes ou tapuscrites, 1948-1977.

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June 19, 01:13 PM GMT

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5,000 - 7,000 EUR

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Lot Details

Description

Dubuffet, Jean

Correspondance à Henri Michaux (8 lettres dont 5 autographes et 3 tapuscrites, signées).

1948-1977, et sans date.

 

9 pages in-4 ou in-8 (de 227 x 210 à 202 x 122 mm), 3 enveloppes autographes.

 

Intense correspondance amicale où il est question entre autres d’un séjour dans le Sahara, de peinture, d’une exposition au musée des Arts décoratifs ("Parachiffres, Mondanités et autres peintures de 1975") et du Salon d’été, projet conçu pour la Régie Renault qui donna lieu à un procès se déroulant durant sur une décennie entière.

 

- El Goléa vendredi 23 [janvier 1948]. Il aurait aimé que ses amis les rejoignent en Algérie. "Ça me réchaufferait comme au vieux Salomon quand il couchait entre ses deux fillettes. Vos fraîches capacités d'émerveillement de nouveaux arrivants aviveraient sans doute les miennes". Il n'est pas loin de penser le pire des gens qu’il côtoie. "Leur cul ne se soulève du sol que de loin en loin, pour peu de temps. Le sol (qui est sable) est tout pétri et mâché des traces de l'homme, des pas de l'homme et du cul de l'homme. […] De ma vie je n'ai souffert comme ici du froid. C'est intolérable. Enveloppé de l'ample burnous de poil de chameau on se réchauffe quelque peu mais on perd l'usage de ces bras et le capuchon empêche de tourner la tête. […] La grande invention de cette nation est le borbor. C'est-à-dire on borborise le type. C'est-à-dire on l'invite gracieusement à dîner pour un certain jour et on fait les préparatifs secrètement. On va la nuit au cimetière, on déterre un mort, on coupe la main, on roule du couscous avec cette main de mort, on met dedans des ongles de mort, des cheveux de mort, et toutes sortes d'autres épouvantables saloperies, et le convive naturellement en demeure malade pour le reste de sa vie".

- Vendredi. Il raconte avoir regardé des géants de pierre alignés le long d'une route à l'aide d'un petit monocle d'horloger. "C'est très fatigant, mais on est payé de sa peine car on voit alors les sujets photographiés, agrandis de huit ou dix fois et animés d'un relief saisissant". Puis il demande, pour son épouse Lili, où l'on peut se procurer des trench-coats de Belgique, l’invite à dîner en compagnie des galeristes René et Olga Drouin pour manger de la tétine. "Il a été convenu que c'est moi qui préparerai cet aliment délicat".

- Mardi 8 août. "C'était un projet idiot, ce projet de s'expatrier en Amérique. Bien sûr qu'il faut rester, ne pas quitter son sol. C'est beaucoup plus important que toute autre chose".

- Jeudi. Il lui propose de partager un repas ou bien d'aller se promener ensemble dans Paris où il y a des foules d'endroits extrêmement intéressants. "Nous comprenons votre tristesse, voudrions vous aider à l'apaiser, la comprenons et la partageons vous comprenez bien, même quand on se raidit et fait le dur ou qu'on essaie d'avoir recours à certaines idées, fussent-elles d'apparence choquantes comme truc pour lutter contre la tristesse". Il décrit en détail les prouesses de sa femme Lili à la piscine, qui est enfin parvenue "à faire le tonneau". Il ajoute de sa main qu'il a acheté aux puces de Saint-Ouen une petite musique mais qu’il a oublié de lui donner.

- Paris 12 janvier 1969. Il regrette de ne pas croiser son ami plus souvent. "Le temps passant, je me sens progressivement m'aliéner. […] Je me suis trouvé emmené dans des travaux de forme pullulante et expansante qui m'absorbent totalement. Ils impliquent des difficultés et lenteur de réalisation technique qui me donnent beaucoup de tracas, qui prennent aussi la forme pullulante et expansante débouchant par tous les bouts sur des besoins de grands locaux qu'il faut aménager ou faire construire". Il donne des nouvelles de Lili et de ses humeurs nihilistes. "Elle n'aime qu’Étaples, où elle va de temps en temps pour une semaine dans sa petite tribu d'indigènes au cœur simple".

- Paris 26 avril 1969. À propos de livres que Michaux aurait fait enlever par un quelconque fripier pour se désencombrer et qu’il a chèrement rachetés lors d’une vente aux enchères parce que présentant des envois à lui adressés. "Mais cela qui est extraordinaire, c'est votre admirable, votre si émouvante délicatesse en de pareilles matières, si rare et précieuse".

- Paris 18 février 1976. Il a appris que Michaux a manifesté de l’intérêt pour ses peintures exposées aux Arts décoratifs. "S'il y a quelqu'un dans l'estime, mais précieux, c'est bien vous. Je travaille maintenant à d'autres choses qui procèdent en quelque manière de ces mêmes mouvements mais qui sont beaucoup plus complexes. Elles seront montrées l'année prochaine si je les mène à bien".

- Paris 23 mai 1977. Lettre relative au Salon d'été, projet d’un ouvrage monumental commandé par la Régie Renault pour les jardins de l’entreprise à Boulogne-Billancourt mais dont la réalisation a été interrompue par le nouveau président de Renault. Dubuffet a décidé de tout mettre en œuvre pour empêcher la destruction. "L'affaire a des implications qui, à travers moi, sont de nature à concerner la création d'art elle-même et tous ceux qui s'y adonnent". Il espère que Michaux acceptera de signer l’appel public qu’il a lancé, citant une douzaine d’autres noms dont il espère également la signature, dont Miró, Boulez, Messiaen, Ionesco, Genet, Vasarely, Hartung, Ponge, etc. Deux fois débouté par la justice, Dubuffet gagnera finalement son procès en 1983 mais refusera d’achever le projet et c’est une autre œuvre de l’artiste qui se dresse aujourd’hui sur les rives de la Seine, La Tour aux figures, érigée sur l’île Saint-Germain trois ans après la mort de l’artiste.


Sur Dubuffet et Michaux, voir aussi lots 142, 145 et 147 (éditions de Michaux avec envoi à Dubuffet ou lettres de Dubuffet).

Sandrine Thiry, "Michaux et Dubuffet : rencontre de deux hommes du commun", in Henri Michaux, corps et savoir, sous la dir. de Pierre Grouix et Jean-Michel Maulpoix, ENS, 1987, p. 297-324, résumé de l'article, en ligne : https://books.openedition.org/enseditions/21075?lang=fr

Deux hommes du commun. Michaux et Dubuffet se rencontrent à la fin de l'année 1944, après que Dubuffet ait sollicité Marie-Louise Michaux, qui tenait la galerie André, rue des Saint-Pères, pour y exposer ses lithographies. Immédiatement séduit par les peintures de Dubuffet, Michaux écrit à Paulhan : "Vu exposition Dubuffet. Plein de qualités de peintre ce Dubuffet. J'ai été conquis. Depuis, je me reprends... un peu" (Pléiade, I, p. CXXIV). Ils furent très proches dans les années d'après-guerre et en 1947, Dubuffet note, à propos d'un déjeuner avec Michaux et Bertelé : "Michaux a été épatant ; il s'amusait à haricoter Léautaud ; il haricotait épatement, il avait toujours le dernier mot, il était extrêmement drôle, il était en très bonne forme et bonne humeur". En octobre 1947, lors d'une exposition à la galerie Drouin sont montrés 7 des 9 portraits que le peintre réalisa de son ami "et de monsieur Plume". Le mois suivant a lieu la création du Foyer de l'Art Brut : si ce n'est qu'un peu plus tard que Michaux manifestera son intérêt pour l'entreprise, le poète ne pouvait être que très proche de cet univers, ainsi que le note R. Bellour et Y. Tran : son intérêt pour "les enfants, les fous, les primitifs...", l'influence de Paul Klee, et sa proximité avec Dubuffet à cette époque. En 1949, Dubuffet publie un croquis-portrait de Michaux titré : "Henri Michaux garçon triste (et génial) à tête de poussin écrit, dessine et chante des rêves". En 1952, Michaux et Dubuffet participent à une exposition collective au studio Paul Facchetti, avec Ossorio, Appel et Pollock. La folie, au centre du concept d'Art Brut, inspire à Michaux, après sa lecture de Connaissance par les gouffres en 1961, ces mots : "Il est traité de folie magistralement, vous la donnez à vivre. Elle est bien tentante. Il en est d'elle comme toute chose, elle donne à perdre par un bout, mais à gagner par un autre. Elle n'est pas comme on le croit une valeur négative. Il n'y a pas de valeurs négatives. Je m'émerveille du courage de vos expériences, et de leur cours opiniâtre." (III, p. XV). En juin 1965, Michaux devient membre officiel de la Compagnie de l'Art Brut et Dubuffet lui écrit : "Il faut que vous aimiez bien l'Art brut, mon cher Michaux, pour consentir si gentiment à cette position de sociétaire, et je saisis pleinement le prix de cette décision" (III, p. XXVII).


"En effet une véritable communauté d’esprit se dessine dans ce simple geste de 'graver', tant au niveau de la peinture qu’au niveau de la littérature. Ce qui unit les deux créateurs avant tout, c’est sans doute la conviction que l’art (pictural, poétique) ne donne pas à l’homme toute sa place, qu’au contraire il fige ce dernier dans un carcan aliénant qui ne rend compte en aucune façon de sa complexité. Des 'positions anti-culturelles' vont alors les amener, chacun à sa façon, à proposer une représentation nouvelle d’un homme qu’ils annoncent tous deux 'faible', 'inadapté' mais pourtant merveilleusement multiple, changeant, riche de ressources. L’intérêt majeur de cette nouvelle représentation est de préférer à un espace vertical – celui du mot d’ordre et de la métaphore aussi un espace horizontal – métonymique. Que ce soit de la (dé) composition de portraits par contiguïté chez Dubuffet ou par l’épanchement du pigment réaliste dans l’eau songeuse chez Michaux, c’est à un véritable éloge de l’individu 'du commun' rendu à sa présence réelle – au milieu des fourmis et des 'antennes vibrantes' – qu’aboutissent nos deux peintres et / ou écrivains." (Sandrine Thiry).

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