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Dubuffet, Jean

Superbe correspondance amicale et artistique à Alexandre Vialatte, 1947-1971.

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June 19, 01:12 PM GMT

Estimate

10,000 - 15,000 EUR

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Lot Details

Description

Dubuffet, Jean

Importante correspondance à Alexandre Vialatte (28 lettres signées, dont 21 autographes et 7 tapuscrites).

Novembre 1947-février 1971.

 

30 pages de formats divers (de 270 x 210 à 90 x 140 mm), dont 3 cartes postales illustrées avec adresses, l’une présentant quelques lignes de la main de Lili Dubuffet, une dizaine de feuillets à en-tête imprimé ; 6 enveloppes autographes.

 

Superbe correspondance amicale et artistique.

Avec un très beau plan dessiné par Dubuffet pour rejoindre le Mirivis.

 

Dubuffet se fait régulièrement l’écho des articles de Vialatte, notamment ceux parus dans La Montagne, expliquant avoir composé un recueil de ces articles et faisant allusion à leur projet commun de les réunir en volume, jugeant parfait le titre proposé par Vialatte, Le grand magma [recueil qui ne verra le jour qu’à titre posthume, en 1988].

Leur complicité résonne intensément dans ces lettres. Dubuffet regrette bien souvent les occasions manquées de se voir, se dit consterné par une défection de son ami, ayant dans sa valise Les Fruits du Congo : "c'est un livre comme l'Alcoran qu'on n'a jamais fini de lire" [juin 1954]. Et lors d’un séjour dans le Morvan, il lit Le Fidèle Berger : "votre art m'apparaît de plus en plus comme un des plus riches et des plus savoureux qui soient. Je vous prie, cessez au plus vite de célébrer ma louange dans les magazines et arrangez de toute urgence votre vie de manière à écrire en toute tranquillité vos admirables livres" (mardi 27 avril [1954]).


Dans la première missive de cet ensemble, Dubuffet décline une proposition d’illustration, avouant être mal à l’aise pour un tel travail, conscient qu’il s’agit de "s'immerger dans le texte à illustrer sans pourtant se mouiller soi-même. Je veux dire avec un œil lire le texte et avec l'autre œil, travailler à sa propre petite création parallèle. Devenir Kafka de la moitié du corps et demeurer soi-même en posture d'invention et de création lucide et vigilante de l'autre moitié. Je n'ai aucune pratique de cette façon de jouer, à la fois sur deux claviers, cela me fait peur".

 

Dans les années 1950, il est beaucoup question de la mauvaise santé de sa femme Lili qui nécessite des séjours en sanatorium, Dubuffet décrivant le logement qu’il lui a été attribué dans l’enceinte du château de Durtol : "un pavillon de campagne désert où les cabinets d'aisance (dont la cuvette, en faïence de Rotterdam, est décorée de feuillages et d'oiseaux) et le sol revêtu d'un linoleum ornementé de dessins géométriques à demi effacés par l'usure et dans lesquelles je vois apparaître de jolies figures de personnages que j'ai entrepris de copier".

Après une visite de Vialatte, il avoue être bouleversé de son intérêt pour sa personne et ses sculptures : "Le Dépenaillé", en mâchefer, "L’Âme du Morvan" en pieds de vigne, "Grouloulou" en papier ou "Gigotin" en tampon Gex [figures qui seront exposées à la Galerie Rive gauche, en 1954, Vialatte composant la préface du catalogue]. Souhaitant lui être utile, il met à sa disposition les nombreux articles concernant sa précédente exposition au Cercle Volney, également son Prospectus aux amateurs de tout genre [publié en 1946] ou encore le livre de Louis Parrot, la première étude qui lui a été consacrée, en 1944.

Plusieurs lettres font allusion à ce travail de "statues" en matériaux divers comme celle nommée "L’Âme du Morvan" : "Elle est faite en morceaux de vieux pieds de vigne, tant bien que mal assemblés, avec clous et ficelles, et fixés sur un terreplain [sic] de mâchefer. Quelques éléments divers – un vieux bout écrasé de corde tressé, une torsade de fils de fer rouillés (rapportés de mes promenades sur les voies du dépôt de locomotive de Montrouge) interviennent utilement. Je crois qu'elle vous plaira. […] J'ai fait aussi un troubadour morvandiau tout en mâchefer. La peinture ne m'intéresse plus guère".

"J'ai fait de nouvelles statues. J'ai passé d'assez bonnes après-midi à explorer les débris d'une auto incendiée que vous pourriez voir encore maintenant dans mon garage et qui vaut le déplacement, je vous l'affirme". Il explore les méandres de la gare de triangle de Vaugirard ou le dépôt de Montrouge. Il en rapporte des bassines et des caissettes pleines de mâchefer "dont je fais ensuite à la maison quand est venu le froid du soir, en m'aidant de ciment Portland, des statuettes morvandelles que j'aimerais vous montrer".

À la fin de ces mêmes années 50, Dubuffet est installé en Provence, plusieurs lettres datées de Vence évoquent la chambre qui attend la venue de Vialatte et les aménagements qu’il y fait faire. "J'ai travaillé à mes peintures comme un dératé tous ces derniers mois. […] J'expédie un train de tableau à Paris par un camion, lundi. Nous le suivrons de près, Lili et moi, quelques jours plus tard . On va crever de froid à Paris, on est devenus frileux comme des chats dans ce climat de coton".

Entre récits quotidiens et diverses anecdotes, dont une sur les amours du galeriste Jean Larcade, il s’associe au spleen exprimé par Vialatte : "j'aime à voir cette rosée embrumer votre vitre et rien ne saurait mieux faire luire vos pointes, rien ne conférerait impressionnant relief à vos vues comme ce fonds de brume noire sur lequel elles surgissent. Je suis pour les couches et feuilletages. Cultivons avec soin cette tourbe mélancolique, ce marais noir où prennent racines nos fleurs" (24 mai 1959). De son côté, il s’est mis au travail dans son vaste et nouvel atelier : "Mon nouveau thème consiste en barbes. Ce sont des amples barbes complexes, telluriques, mystiques. J'en ai peint déjà plusieurs et notamment une hier qui porte le titre de CARILLON DE BARBE. Je sais que vous aimez mes titres".

Le 12 juillet 1964, il s'insurge contre un article paru dans Paris-Match où il est accusé de "faire le trottoir", un traitement qu’il estime réservé aux seuls peintres. "La raison de cela, je vais vous la dire, c'est que la peinture est cinquante ans ou cent ans en avance sur le théâtre ou la littérature. Le théâtre, la littérature n'existent pratiquement plus que sous la forme de ratiocinations et pastiches, où toute vraie invention est absente. Le théâtre et la littérature attendent leur révolution. La peinture a fait la sienne. Elle s'est replacée sur le terrain de la pure création d'art. Il lui a repoussé des ailes. C'est la raison pourquoi elle suscite dans tant de pays étrangers, et notamment en Amérique, où on aime si bien en tous les domaines l'invention, de si fiévreux enthousiasmes. Mais pas en France ! […] On y prend des jaunisses à voir un peintre français susciter de l'enthousiasme à l'étranger".


Un très beau plan de Dubuffet, indiquant comment rejoindre son atelier. À cette date, l'artiste séjourne au Touquet, au Mirivis, situé dans la forêt entre Étaples et la plage du Touquet, par un grand plan illustré et légendé. Il mentionne notamment une "superbe route traversant la forêt" et une "superbe place ornée de fleurs, de grands hôtels et casinos", avec une flèche indiquant la plage, et dessine une femme en bikini.


En 1969, il s’installe à Périgny-sur-Yerres où il espère la visite de Vialatte : "Un très joli site fort agreste où j'ai entrepris de supprimer l'un après l'autre l'herbe, les arbres, la rivière pour y substituer des graphismes émaillés. La transformation s'opère peu à peu" (lundi 19 mai 1969).

 

Il est bien sûr question d’amis communs comme Georges Limbour, le collectionneur et galeriste Alphonse Chave, Pierre Bettencourt ou le sculpteur Philippe Kaeppelin. Et dans la lettre évoquant ce dernier, Dubuffet décrit avec lyrisme l’appartement parisien de Vialatte, peuplé de livres et de dossiers : "c'est plus qu'un jardin, c'est un jardin total, un vrai univers, un monde. Et comme toutes les grandes merveilles, c'est un décor qui ne saurait être par un autre, imité artificiellement. […] Il s'est fait de l'intérieur. Il résulte d'une poussée interne non délibérée, comme le banc de champignons dans la forêt. Les décorateurs d'appartements n'ont qu'à s'en aller se rhabiller devant si magnifique (et si autoritaire), architecturation" (28 février 1971).

 

Jean Dubuffet et Alexandre Vialatte se sont connus en 1947 et ne cessèrent jamais de correspondre et de se fréquenter, partageant projets artistiques et rencontres amicales, munis tous deux d’un sens évident de la cocasserie et du rejet des normes.


[On joint :]

DUBUFFET, Jean. – Lettre autographe signée à Hélène VialatteDurtol lundi [12 juillet 1954] (2 p. petit in-4, enveloppe). Relative à la cure que doit suivre son épouse Lili et à leur installation dans le Puy-de-Dôme. – Télégramme à Vialatte [5 juillet 1954]. Sur le choix d’un sanatorium à Durtol. – Photocopie d’une lettre à Vialatte, 12 février 1957.


LOREAU, Max. Lettre signéeParis, 5 septembre 1963 (1 p. in-4 à en-tête du Secrétariat de Jean Dubuffet). Préparant le catalogue des travaux de Dubuffet, Loreau demande à Vialatte le texte promis à l’artiste, destiné à servir d’introduction au fascicule sur les Barbes.

 

Sur Alexandre Vialatte, voir lot 178.

Jean Dubuffet et le grand Magma, Arléa, 1988 (lettre de février 1971, reproduite).

"On me demande pourquoi j’aime Dubuffet. J’aime Dubuffet parce qu’il est charmant ! D’abord il a des petits cheveux tondus ras, bien frottés à la toile émeri, qui lui font un crâne de légionnaire, des yeux bleus en toile de Vichy, bien lavés de frais, qui se souviennent d’on ne sait quels fjords ; il est toujours bien lavé, bien propre, bien joli, bien appétissant ; il est mignon comme une image de dictionnaire. Il se coiffe à Londres avec un petit chapeau moutarde ; il s’habille, il se chausse à Londres, chez le plus grand bottier d’Angleterre, D’Europe. Du Monde. Petit à petit sous mon influence, Dubuffet s’habille dans le Puy-de-Dôme. Il se sert chez Conchon-Quinette, établissement de grande réputation, aux succursales nombreuses, réellement apprécié. Il en acquiert une élégance pour ainsi dire plus départementale, une dignité plus auvergnate et un fruité plus onctueux. [...] C’est un lyrique, un humoriste, un grand poète et un écrivain de première force. Il a le goût, la mesure, le bon sens. Pas dans ses toiles, ses toiles sont poétiques ; la poésie n’a rien à voir avec le goût, elle n’a à voir qu’avec l’abîme. On me dit qu’il est scandaleux. Pourquoi ? Parce qu’il peint des vaches vertes. Mais d’abord toutes les vaches sont vertes, ensuite si elles ne l’étaient pas, il faudrait les inventer telles, et c’est précisément parce qu’elles ne le sont pas qu’il est beau de les peindre vertes. Je trouve beaucoup plus scandaleux de voir en manchette sur six colonnes dans un journal : ‘Le ministre sera présent au rendez-vous qu’il s’est fixé lui-même.’ (Je n’invente pas), ou ‘Le ministre est décidé à faire respecter la loi.’ Tous les Européens de notre génération ont vu défiler dans leur vie des vaches plus vertes que les vaches de Dubuffet. On leur a fait tout digérer, corne et peau ; et même l’oeil, qui est pourtant triste et beau, et pareil à celui des déesses. [...] J’aime Dubuffet parce que ses toiles mélangent l’humour à une confiture de possibles, une apocalypse de formes, un grouillement de choses incroyables, dérisoires et contradictoires, un opéra de ville engloutie." (A. Vialatte, Correspondance(s), Lettres, dessins et autres cocasseries, 1947-1975, éd. Au Signe de la licorne, 2004).

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