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Dubuffet, Jean

Importante correspondance à Armand Salacrou (61 lettres autographes signées), 1915-1921. Belle correspondance datant de leurs années de jeunesse.

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June 19, 01:08 PM GMT

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Lot Details

Description

Dubuffet, Jean

Importante correspondance à Armand Salacrou (61 lettres autographes signées).

Le Havre, Le Mont-Dore, Alger, Beg-Meil ou Paris, décembre 1915-août 1921.


185 pages de formats divers (de 270 x 210 à 140 x 90 mm), une carte pneumatique avec adresse, 7 cartes postales illustrées, 4 lettres sur papier deuil, quelques en-têtes dont celui de l’adresse familiale au Havre ; à l’encre bleue, noire, rouge ou au crayon.


Correspondance de jeunesse à un ami d’enfance, futur auteur dramatique et le complice des années de formation de Dubuffet.


Deux lettres sont illustrées d'un dessin.


Tandis que Dubuffet est encore au lycée et suit les cours du soir de l’école des beaux-arts du Havre, Salacrou, de deux ans plus âgé que lui, a quitté le Havre, poursuivant des études de médecine et de philosophie à Paris.


Le jeune Dubuffet ─ ces lettres s’échelonnent entre ses 15 et 20 ans – se livre à toutes sortes de confidences intimes, évoquant des frasques adolescentes dans les rues et les cafés du Havre. Il s’interroge sur l’avenir qui l’attend, imposé ou choisi, entretient son ami de ses lectures, de leurs amours respectives, donnant des détails savoureux sur sa famille, sa vie de lycéen et ses camarades ─ en tête Georges Limbour avec lequel il restera très lié.


Parmi les nombreux auteurs qu’il cite et dont il commente les œuvres : Vigny, Loti, Baudelaire, Louÿs, Taine, Barbusse (dont il loue à plusieurs reprises Le Feu), Dostoïevski, Marc-Aurèle, Anatole France, H.G. Wells, Gautier, Tolstoï avec Résurrection : "L'œuvre est trop longue, trop encombrée d'un fatras de digressions et de hors-d’œuvres qui alourdissent indéfiniment. Mais elle te plaira et t’enthousiasmera sûrement malgré cela par la beauté des théories de Tolstoï qui sont les tiennes, et de plus en plus les miennes : négation du droit de propriété de la terre, réhabilitation de la prostituée, mépris des préjugés et des snobismes du ‘grand monde’ et sympathie pour les pauvres gens", ou encore Joseph Balsamo d’Alexandre Dumas : "un très bel ouvrage. […] Peut-être est-ce légèrement inférieur à Monte-Cristo, lequel est le chef d'œuvre de toutes les littératures, avec le dictionnaire Larousse. […] Ah ! si tu faisais des beaux livres comme ceux-là ! Je ne rêve plus que de me promener dans un costume austère et singulier, avec des airs singuliers et austères, disposant de sommes d'argent gigantesques et de puissantes aides occultes, et de semer autour de moi la terreur et l'étonnement. Ça au moins c'est une vie. C'est bien plus beau mais c'est bien plus difficile que la peinture à l'huile". Lettre illustrée d’un petit dessin, à l’encre bleue, représentant un jet d’eau arrosant un masque de carnaval.


Plusieurs lettres évoquent des passions amoureuses plus ou moins vénales, Dubuffet passant d’une nommée Lily d’Arfeuil "à tout le moins charmante et je n’en demanderais pas davantage", à la jeune Thérèse à qui il n’ose se déclarer et qu’il décidera de quitter : "Je l’aime cette enfant, nom d’un chien, je la veux, je la veux de toutes les forces de mon être. Cela ne peut durer comme cela. Je n’aime pas à ouvrir mon cœur ; et pourtant toi, mon vieux, qui n’en rira, je veux que tu saches combien je souffre depuis un mois". Au début de 1918, il tombe sous le charme d'une élève des beaux-arts mais toujours sans l’avouer à l’intéressée : "Ah, être seul, toujours. Comprends-tu ce que cela veut dire, être seul chez soi, dehors, partout et toujours. Ne pas avoir qui se confier. Ne croire à rien pas même à soi. Perpétuelle angoisse. Parfois, j'ai la sensation d'être un tout petit enfant qui a perdu sa mère et qui se trouve tout seul au milieu de vieux Messieurs parlant à voix basse de l'étranger – et qui sait bien que jamais, jamais plus, il ne retrouvera sa maman".


Inscrit à l'école des beaux-arts du Havre, il décrit l’ambiance des salles de cours, les modèles qui posent, ses propres productions [une des toutes premières œuvres connues de Dubuffet est un portrait de Salacrou, une sanguine de décembre 1917], ses entretiens et les conseils du peintre Georges Binet. "Est-ce la peine de te dire après tout cela que je n'hésite plus quant au choix de ma carrière ? Après bien des hésitations, décidément, j'aime mieux l'art que le vin. Cela n'ira pas, je pense, sans certaines petites résistances de ma famille, mais ma décision est bien prise maintenant" (20 novembre 1917). Binet lui a fait cadeau d’une boîte de peinture : "J’ai débuté par une sensationnelle croûte représentant ─ sujet émouvant ─ un compotier de pommes et un vase de Gallet. Mais je m'attendris devant cette ignoble chose comme la faible et pâle accouchée, embrasse avec adoration l'infâme et rougeau petit salé – le premier fruit de son long travail".

Mais la réalité l’oblige également à se préoccuper de "ce fichu bachot" (obtenu à l’été 1918), et à se plier aux volontés de son père qui lui donne le choix entre commerce et droit, devant l’accompagner en Algérie pour être initié au travail de bureau et de comptabilité, ce qui ne lui sourit guère bien qu'un ami de son père lui a promis de le mettre en rapport avec Georges Rochegrosse : "Il y a, paraît-il, à Alger, tout un monde artistique de peintres, dessinateurs, graveurs, sculpteurs, etc. qui sont venus là soigner leur santé comme moi, et qui, séduit par le pays, s'y sont fixés. Toute cette pléiade est un peu groupée autour du maître Rochegrosse […]. Mais je ne peux raisonnablement entrer dans l'atelier de Rochegrosse […] sans lui avoir montré quelques croquis de moi. Or, que pourrais-je à l'heure actuelle lui envoyer ? Rien, rien, rien".

Après une cure au Mont-Dore – où il touche du doigt le succès après avoir été sollicité pour illustrer les programmes d’une fête de charité et réalisé sur commande les portraits de nombreux curistes – il passe plusieurs semaines à Saint-Andrieux, pratiquant le dessin, la peinture, le piano et la poésie quant les exigences familiales lui en laissent le temps. Le 2 août 1918, dans une lettre illustrée d’un petit croquis représentant le plan de sa chambre au Havre, il indique à Salacrou où trouver des livres sur le bouddhisme et la philosophie indienne à prêter à leur ami Limbour.


En janvier 1920, il est à Alger où se trouve une filiale du commerce de vins de ses parents, et il décrit son séjour à la manière d’un conte oriental, se mettant en scène en petit prince de l’Empire, croisant Archimède, Aladin, Hannibal, Abd-el-Kader, et Mercure déguisés en étrangers américains, puis relatant ses amours avec une jeune anglaise, "un jouet de prix dont je fais mauvais usage". "Je suis dans la peinture jusqu'au cou et cela n'est pas dit par métaphore, car je suis proprement vêtu de peinture comme un arc-en-ciel. Sûrement, je n'ai jamais tant travaillé ni de si bon cœur".

"Je vais laisser tomber un grand principe fondamental de mon système philosophique : les voyages ne doivent pas servir à analyser les différences de mœurs mais à saisir la vie dans ce qu'elle a, au contraire d'invariable à toute époque, en tout lieu. Ici, pays bâti sur l'aventure, la vie est plus sommaire, plus logique, plus HUMAINE qu'en France. Petite remarque d'ordre esthétique : ce qu'il est convenu d'appeler couleur locale n'a aucune valeur en soi pour l'art ; on peut faire un beau tableau avec des chechias parce que c'est rouge, mais jamais un beau poème. Autre : le seul intérêt de Foujita est qu'il peint Paris en Japonais. Peignons donc en Auvergnat si nous le sommes".

Une carte postale est datée d’un second séjour en Kabylie, de Bougie le 21 février [1921] : "J’ai passé parmi des montagnes neigeuses et si désertes et l’écorce est par là si tourmentée désolée qu'on se croirait dans la lune et les femmes vont en théorie chercher de l'eau à la fontaine pieds nus et la cruche haut sur la tête, comme elles firent il y a des milliers d'ans".


Deux lettres sont datées de Beg-Meil où il séjourne durant l’été 1920, souhaitant parler de vive voix avec son ami de la grande émotion qui se dégage du pays lui-même, des paysans et du paysage, tout en fournissant de multiples détails sur les personnages qu’il croise, estivants ou locaux, dont une charmante petite bretonne, "gaie comme un petit oiseau et toute la journée, mes doigts ont fleuré son odeur intime, laquelle est crâne, franche et sans détour". 


À son retour en France, installé à Paris – et inscrit un temps à l'Académie Julian – ses lettres se font l’écho aussi bien de ses activités artistiques, signalant par exemple une très intéressante exposition de Degas chez Georges Petit et proposant à Salacrou de s'y retrouver, que de ses états d’âme, avouant alterner "une vie d’ours avec emmerdement perpétuel mais laborieux" et une vie de fête "à corps perdu".

"Je reviens du Havre passé trois jours, très enthousiaste de cette ville : hebdomadaires auto-da-fé de mes haines et de mes amours. J’irais volontiers y passer quelques semaines si l'amour (oui, l'amour) ne me retenait à Paris éperdument. Une femme grande grasse brune souple, etc. Éperdument te dis-je. Elle pose pour moi, j'ai déjà travaillé beaucoup avec elle". (Mercredi 18 août [1921]).


Ces lettres, écrites par un tout jeune homme, portent déjà l'esprit frondeur et indépendant de l'artiste, par exemple lorsqu'il relate son baptême de l'air à bord d'un avion Caudron de type 1913 : "J'avais la foi, la ferveur, là-haut j'ai gueulé dans l'oreille de mon Virgile : ce que ça a l'air con, la terre !" ou lorsqu'il donne des nouvelle de Paris et de la vie nocturne agitée qui y règne, évoquant d'ailleurs un cadeau d'Aphrodite dont il peine à se débarrasser. "Je me sens avec bonheur me désintellectualiser, autrement me dit me désadapter des livres pour m'adapter à la vie, et cesser de poser à l'homme supérieur. Quel bonheur de se sentir simplement un bon ouvrier peintre (j'en reviens toujours là) avec la joie de pouvoir mépriser les intellectuels ou prétendus tels parce qu'on sait ce qu'ils valent", ou encore lorsqu'il se moque gentiment de son ami, qui a momentanément quitter son humeur triste pour folâtrer avec Limbour lors d'un passage au Havre . "Je suis charmé que la vie pour le moment te gante aussi bien le mollet et que les effluves dix-huit-cent-trentièmes ou Baudelairiennes s'enfuient de ton cœur. Baudelaire a dit qu'il fallait qu'un homme soit tombé bas pour se croire heureux. Et bien veux-tu l'opinion de Dubuffet sur Baudelaire ? C'est un con. Paris est en fête, messieurs, on y danse et on s'y amuse follement et votre petit chaudepissard d'ami d'en donne à cœur-joie".

Succession Salacrou, 20 juin 1994 (Binoche), lot 42 à 46.

De deux ans plus âgé que Dubuffet, Armand Salacrou (1899-1989) naît à Rouen mais grandit au Havre avant de poursuivre ses études à Paris, en médecine, droit et philosophie, tout en s’essayant à l’écriture. Dans une de ces lettres, Dubuffet le félicite pour une nouvelle qu’il lui a soumis tout en lui reprochant sa graphie illisible.

Proche du parti communiste, Salacrou débute comme journaliste à L’Humanité, gagnant sa vie comme publicitaire, inventant notamment le célèbre slogan "la mort parfumée des poux" pour la tout aussi fameuse lotion Marie-Rose, mise au point par son père, pharmacien-herboriste. Devenu auteur à succès, il acquiert à la fin des années 1930 une grande demeure balnéaire, sur le front de mer du Havre, la "Villa Maritime".

Dans une lettre datée du 23 mai 1952, l'écrivain rend hommage à sa ville d’adoption : "Grande ville du Havre qui vit non pas de tes voyageurs mais de tes voyages, il faut te bien connaître pour te bien aimer – mais alors, de quel amour ! Il faut aimer le vent et la pluie. Il faut aimer sortir les nuits d'hiver par un vent de norois sur le boulevard de la Mer, où les embruns viennent mourir sur les pierres des maisons, aimer reconnaître les feux agités de la rade et, tout en luttant contre le vent et l'eau, parvenir à se sentir fier de l'effort des hommes vivants, trouver une certaine exaltation à se sentir solidaire d'une ville qui a osé construire le premier bateau à hélice, il y a plus de cent ans, dans des chantiers qui existent encore, se jeter à corps perdu dans cette aventure actuelle qu'est la vie simple d'une ville courageuse et, enfin apaisé, chanter au rythme de sa marche, avec le vent, avec les vagues et les galets tandis que le feu de la Hève tourne et tourne, couvrant tour à tour la ville, le port et l'eau, comme un éclair et comme un regard" (fonds Bernard Esdras-Gosse, Bibliothèque municipale Armand Salacrou du Havre). 

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