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XXe siècle (lots 58 à 98)

Kafka, Franz

Lettre autographe signée à Max Brod. 10 juillet 1912. Superbe lettre évoquant la publication de son premier recueil de nouvelles et son séjour dans la station thermale du Jungborn en Saxe-Anhalt.

Lot closes

November 20, 11:10 AM GMT

Estimate

12,000 - 16,000 EUR

Starting Bid

12,000 EUR

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Lot Details

Description

Kafka, Franz

Lettre autographe signée à Max Brod.

[Jungborn], 10 juillet 1912.

 

4 pages grand in-8 (226 x 145 mm), sur un bifeuillet, en-tête Rudolf Just's Kuranstalt Jungborn (I. Harz). Signée "Franz". Enveloppe au même en tête, à l'adresse de Brod, à Prague.

 

Longue et belle lettre évoquant la prochaine publication du premier recueil de nouvelles de Kafka, Betrachtung [Contemplation], et la rédaction, difficile, d’Amérique, qui restera inachevé et ne sera publié qu’à titre posthume.

 

Après un voyage à Weimar en compagnie de Max Brod, Kafka séjourne dans la clinique et maison de convalescence fondée par le naturopathe Rudolf Just. Il s’adresse à son cher ami, devenu confident, lecteur critique et soutien moral.

 

Kafka parle d’un sentiment d’impuissance et de tristesse devant la tâche de ce roman immense, conçu pour embraser le ciel, et s'avouant embarrassé dès la première phrase écrite.

"Aber ich bin unfähig genug und traurig. Das musss nicht endgiltig sein, das weiß ich. Jedenfalls reicht es zum Schreiben noch lange nicht. Der Roman ist so gross, wie über den ganzen Himmel hin entworfen (auch so farblos und unbestimmt wie heute) und ich verfitze mich beim ersten Satz, den ich schreiben will".

 

Il remercie chaleureusement Max Brod pour sa lettre et le poème qu’elle contient [Lugano-See qui sera publié le 7 mars 1913]. Il se promet de le lire à la lumière de la bougie, lorsqu’il se réveillera la nuit. Ce poème – pour lequel il suggère quelques améliorations – est pour lui comme un cadeau et une union rêvée entre eux.

Il évoque ensuite des questions éditoriales, demandant des nouvelles du "Jahrbuch" (l’annuaire de poésie, Arkadia, publié par Brod), du brave et intelligent Ernst Rowohlt (qui va prochainement publier Betrachtung, de l’éditeur Axel Juncker et du livre de Max Brod, Anschauung und Begriff [Intuition et Concept sera édité à Leipzig en 1913.].

Après avoir décrit les difficultés auxquelles il se heurte dans son écriture, il reconnaît que son séjour à Jungborn se passe bien, dans une maison agréable d’où il entend parfois le bruit de passants qu’il compare au galop d’un buffle.

 

1912 est une année jalon dans la vie de Kafka. Bien que toujours employé comme agent d’assurance, il consacre une grande partie de son temps à l’écriture. Soutenu par Max Brod, un interlocuteur essentiel qui l’encourage, malgré tous ses doutes, il devient un écrivain publié, avec le recueil Contemplation. Non seulement, Kafka travaille sur son premier roman, Amérique, mais c’est également à cette époque que Le Verdict et La Métamorphose s’ébauchent. Et c’est quelques semaines après ce séjour à Jungborn qu'aura lieu sa rencontre avec Felice Bauer lors d’une visite chez Max Brod.

Transcription :

"Mein liebster Max, weil mir dein Brief vor Freude in den Händen brennt, antworte ich gleich. Dein Gedicht wird der Schmuck meiner Hütte bleiben, und wenn ich in der Nacht aufwache, was oft vorkommt, denn an die Geräusche in Gras Baum und Luft bin ich noch nicht gewöhnt, so werde ich es bei der Kerze lesen. Vielleicht bringe ich es einmal dazu, es auswendig hersagen zu können, dann werde ich mich, und sei es auch nur im Gefühl, wenn ich verkannt bei meinen Nüssen sitze, damit erheben. Es ist rein (nur mit den ‘schweren Trauben’ kommt in die zwei Zeilen ein nicht ganz sicherer Überfluß, da solltest du noch mit der Hand hineingreifen), aber außerdem und vorher noch hast du es für mich bestimmt, nicht wahr, schenkst es mir vielleicht, läßt es gar nicht drucken, denn, weißt du, noch die erträumteste Vereinigung ist für mich das Wichtigste auf dieser Welt.

Der brave, der kluge, der tüchtige Rowohlt ! Wandere aus, Max, wandere von Juncker aus, mit allem oder mit möglichst vielem. Er hat dich aufgehalten, nicht in dir, daran glaube ich nicht, da bist du auf dem guten Weg, aber vor der Welt bestimmt. Die Schrift der Kleist-Anekdoten paßt ganz genau, aus dieser trockenen Schrift wird man die Höhe des Gefühls um so besser rauschen hören.

Vom Jahrbuch und vom Billig schreibst du nichts. Nimmt Rowohlt den ‘Begriff’ umsonst? Dass er an mein Buch denkt, ist mir natürlich recht, aber ihm von hier aus schreiben ? Ich wüßte nicht, was ich ihm schreiben sollte.

Wenn das Bureau dich ein wenig plagt, so tut das nichts, dazu ist es hier, man kann nichts anderes verlangen. Dagegen kann man verlangen, dass aber schon in nächster Zeit Rowohlt oder irgendein anderer kommt und dich aus deinem Bureau herauszieht. Er soll dich dann aber nur in Prag lassen und du sollst dort bleiben wollen !

Hier ist es schon schön, aber ich bin unfähig genug und traurig. Das musss nicht endgiltig sein, das weiß ich. Jedenfalls reicht es zum Schreiben noch lange nicht. Der Roman ist so gross, wie über den ganzen Himmel hin entworfen (auch so farblos und unbestimmt wie heute) und ich verfitze mich beim ersten Satz, den ich schreiben will. Dass ich mich durch die Trostlosigkeit des schon Geschriebenen nicht abschrecken lassen darf, das habe ich schon herausgebracht und habe von dieser Erfahrung gestern viel Nutzen gehabt.

Dagegen macht mir mein Haus viel Vergnügen. Der Fußboden ist ständig mit Gräsern bedeckt, die ich hereinbringe. Gestern vor dem Einschlafen glaubte ich sogar Frauenstimmen zu hören. Wenn man das Klatschen nackter Füße im Gras nicht kennt, so ist, wenn man im Bett liegt, ein vorüberlaufender Mensch wie ein dahineilender Büffel anzuhören. Mähen kann ich nicht erlernen.

Lebe wohl und grüße alle.

Dein Franz".

 

 

Traduction :

"Mon cher Max, comme ta lettre brûle de joie entre mes mains, je te réponds sans tarder. Ton poème restera l'ornement de ma cabane, et quand je me réveillerai la nuit, ce qui m'arrive souvent, car je ne suis pas encore habitué aux sons de l'herbe, des arbres et de l'air, je le lirai à la bougie. Peut-être qu'un jour je pourrai le réciter par cœur, et alors il me portera, ne serait-ce qu'en sentiment, quand je serai assis, incompris, avec mes noix. C’est un poème pur (sauf ces ‘grappes lourdes’, où se glisse dans deux vers une abondance un peu incertaine, que tu devrais encore retoucher), mais avant tout, c’est à moi que tu l’as destiné, n’est-ce pas ? Tu me l’offres peut-être, sans même songer à le publier ? Car tu le sais, la plus rêvée des unions reste, pour moi, la chose la plus essentielle au monde.

Le brave, l’intelligent, le capable Rowohlt ! Pars, Max, quitte Juncker, emporte tout, ou du moins le plus possible. Il t’a retenu, non pas en toi — là je ne crois pas qu’il ait eu prise, car tu es sur la bonne voie — mais devant le monde, certainement. Le récit des anecdotes sur Kleist est parfaitement approprié ; de cette écriture sèche, on perçoit d'autant plus clairement l'intensité de l'émotion.

Tu ne dis rien de l’Annuaire ni de Billig. Rowohlt prend-il le Begriff gratuitement ? Qu’il pense à mon livre, cela me convient, bien sûr ; mais lui écrire d’ici ? Je ne saurais vraiment pas ce que je pourrais lui dire.

Que ton bureau t’ennuie un peu, ce n’est rien : c’est sa fonction, on ne peut en attendre davantage. Mais on est en droit d’attendre que bientôt Rowohlt, ou un autre, vienne t’en tirer. Qu’il te laisse alors à Prague, et que tu veuilles y rester !

Ici, c’est bien beau, mais je suis impuissant et triste. Ce n’est pas définitif, je le sais. Mais pour écrire, cela ne suffit pas encore. Le roman est immense, conçu comme pour embrasser tout le ciel (aussi pâle et indéterminé qu’en ce jour), et je m’entrave dès la première phrase que je voudrais écrire. J’ai toutefois compris qu’il ne fallait pas me laisser décourager par la désolation de ce que j’ai déjà rédigé et cette expérience m’a beaucoup servi hier.

Ma maison, en revanche, me plaît beaucoup. Le sol est constamment couvert de l’herbe que j’y apporte. Hier, avant de m’endormir, j’ai même cru entendre des voix de femmes. Quand on ne connaît pas le bruit de pieds nus sur de l’herbe, on croirait, étendu dans son lit, entendre celui d’un buffle en train de s’élancer. Mais je ne peux pas apprendre à tondre.

Adieu, et salue tout le monde de ma part

Ton Franz".

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