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XIXe siècle (lots 30 à 57)

[Monet, Claude] – Paul Durand-Ruel

12 lettres à Claude Monet, 1886. Sur une exposition impressionniste à New York. [Joint :] Octave Mirbeau, 8 lettres à Claude Monet,1895.

Lot closes

November 20, 10:44 AM GMT

Estimate

3,500 - 5,000 EUR

Starting Bid

3,500 EUR

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Lot Details

Description

[Monet, Claude] ─ Paul Durand-Ruel

12 lettres autographes signées à Monet.

Paris 7 août-30 décembre 1886.


30 pages in-8 (de 217 x 132 à 115 mm).

 

Très intéressant ensemble à propos d'une exposition que Durand-Ruel souhaite organiser à New York.

 

Avec une correspondance d’Octave Mirbeau à Monet, jointe.

 

Les lettres de Durand-Ruel évoquent évidemment ses affaires commerciales mais également tout son intérêt pour l’œuvre de Monet. "Vous êtes avant tout le peintre du soleil et de la lumière".

 

Revenu de New York puis de Londres, Durand-Ruel espère pouvoir se rendre à Giverny. "Avez-vous travaillé beaucoup et avec succès ? […] Il me faut des choses nouvelles pour exposer à New York. Le vrai succès ne vient à Paris qu’après la sanction de l'étranger. Nous sommes ici routiniers à l'excès et esclaves de la mode. Or la mode ne vient plus de Paris. […] Si nous avons eu vous et moi plus de chance à Paris c’est parce que j’avais fait connaître et apprécier vos tableaux à l’étranger" (7 août).

Il a reçu de l’encadreur Dubourg trois tableaux de Monet dont deux étaient chez Petit : "Il faudra que nous voyons ensemble ces tableaux. Le plus grand [La Manneporte] est très beau, mais à mon avis, aurait besoin d’être poussé un peu plus. Les 2 autres motifs qui sont moins séduisants, ont aussi besoin d’être revus" (14 août).

Le 4 septembre, Monet lui ayant parlé de son projet de se rendre en Bretagne, Durand-Ruel le pousse à retourner à Étretat. "Vous auriez à revoir la mer sous la porte. On ne s’explique pas les vagues. Du reste vous verrez mieux vous-même ce que vous avez à y faire". Monet lui répondra le 12 septembre suivant que son tableau n’est pas retouchable et que s’il ne lui convient pas, il préfère le garder. Monet n’ira d’ailleurs pas à Étretat mais à Belle-Île-en-Mer où il restera jusqu’à la fin du mois de novembre, avant de passer quelques jours chez son ami Octave Mirbeau à Noirmoutier.

Durand-Ruel affirme que tout va rouler comme sur des roulettes à New York malgré le retard occasionné par les marchands américains pour l’empêcher de faire entrer ses tableaux aux États-Unis, sans frais de douane excessifs. À Paris, les affaires sont toujours mauvaises mais il espère pouvoir reprendre ses expositions, rue Laffitte, après New York, comptant sur Monet pour lui envoyer de belles études (20 septembre).

Monet est installé à Belle-Île : "Je suis très content de vous voir travailler à outrance comme vous le l’écrivez. Si le pays est beau, avec l’océan en plus, vous pourrez trouver des motifs superbes et faire une ample moisson. […] Mais je me demande si ce pays de Bretagne avec ses rochers noirs et ses landes sauvages vous aura fourni des motifs aussi beaux que les falaises de Varangéville et de Pourville" (12 octobre).

Les fils de Durand-Ruel, qui l’ont précédé en Amérique, vont s’occuper de ses affaires avant qu’il ne les rejoigne. Il imagine que Monet, dont il veut présenter une trentaine d’œuvres, pourrait également se rendre à New York : "Vous auriez là-bas un champ nouveau à exploiter et une foule de motifs très séduisants. […] J'espère beaucoup de cette nouvelle campagne mais ce n'est pas à la faute de mes confrères si je réussis, car ils se remuent plus que jamais pour me créer des difficultés. Ils cherchent à empêcher mes tableaux d’entrer en franchise et font des démarches auprès du gouvernement de Washington dans ce but. Ils sont bien stupides car tous les efforts que je fais, profitent à tout le monde et en ouvrant un marché nouveau aves des tableaux nouveaux aussi je crée des amateurs qui s’ajoutent à ceux qui existent et cela profite à tous les marchands et artistes. Mais la jalousie les aveugle" (22 octobre).

Monet, s’étant plaint du mauvais temps qui règne à Belle-Île, le marchand suggère de retourner dans le midi : "vous êtes avant tout le peintre du soleil et de la lumière" (26 octobre).

Le 3 novembre, il est question d’autres tableaux que lui a remis Dubourg. "J’ai toujours celui […] qui a été confondu avec celui de Made Manet. Celui-là est très beau et me plaît chaque jour davantage". Il aurait besoin, avant son départ, que Monet lui envoie une notice biographique, destinée aux amateurs de ces pays lointains.

Mardi [mi-décembre]. Il a finalement décidé de louer son local de la rue Laffitte pour s’éviter divers tracas et se dit impatient de voir les marines de Monet "que Mirbeau, moins difficile que vous, me dit superbes. Il me dit que vous en aviez bien 45, aussi vous allez me recréer les yeux plus que vous ne pensiez. […] Surtout n’allez pas vendre à Petit vos bons tableaux avant ma visite".

Le 29 décembre, à la demande de Monet, Durand-Ruel envoie mille francs, tout en lui demandant de lui envoyer "de suite" quelques tableaux par le chemin de fer car il serait bien aise de pouvoir en vendre un ou deux. Cette lettre fit réagir Monet qui, vexé, lui retournera cette somme, précisant qu’il se pensait en droit de demander une avance.

Le lendemain, Durand-Ruel proteste à son tour et lui demande de ne pas être si susceptible : "Je vous assure bien que je ne compte pas avec vous et quand j'ai de l'argent, je suis bien heureux de le donner. Mais vous connaissez bien les difficultés de la situation et les ennuis que me créent partout ces confrères qui ne me pardonnent pas de vous avoir toujours défendus, vous et vos amis. C'est une guerre acharnée, déloyale et je vous assure que j'en suis écœuré. […] C’est avec le cœur que j’ai toujours agi et jamais par intérêt. En cela je l’avoue je ne suis pas bon commerçant". Il détaille ensuite leur compte, indiquant ce qu’il lui doit et ce qu’il lui a payé, directement ou par des intermédiaires, et indiquant que c’est Monet qui est son débiteur. Il lui demande donc de ne pas douter de son dévouement et de se méfier des calomnies que certains répandent pour lui nuire. "Écrivez moi toujours rue de Rome car là personne ne voit mes lettres et j’évite autant que possible de parler de nos affaires à qui que ce soit. C’est bien mieux" (30 décembre 1886).

Monet lui répondra immédiatement, regrettant ce malentendu entre eux, suggérant de régler comptant leurs affaires à l’avenir, et précisant qu’il avait repris son tableau des falaises d’Étretat, et qu’il en demandait 1200 francs.

 

[On joint :]

MIRBEAU, Octave. 8 lettres autographes signées à Claude Monet. [1895]

19 pages in-8 (177 x 115 mm), à l’encre violette, trois en-têtes du Clos St Blaise à Carrières.

Très belles lettres pleines de verve et d’humour, évoquant la prochaine exposition de la série des Cathédrales à la galerie Durand-Ruel, prédisant à Monet un succès inouï.

Mirbeau demande des nouvelles de la famille de son ami, et plus particulièrement de la santé de cette chère Mme Butler (Suzanne Hoschedé, belle-fille de Monet, épouse du peintre Théodore Butler, qui devait mourir à trente ans, en 1899). Partageant une passion commune pour les jardins et la botanique, il est souvent question d’échanges de graines et de boutures, Mirbeau qualifiant Monet d’ange et de "reange" pour l’envoi de plantes rares et de tuteurs. Se plaignant du mauvais temps, réclamant gaîté et soleil : "j’en ai assez, moi, de pourrir sans la nature, comme un bulbe dans un pot de boue".

Il se moque des intrigues de leur ami Gustave Geffroy pour obtenir la Légion d’honneur [qui lui a été décerné en janvier 1895]. "C’est un bon garçon… Mais tout de même, il aime trop de choses ; trop de gens, trop de chèvres, trop de choux. Allons, allons ; Monet, ne nous décourageons pas, et tenons ferme. Ce sera drôle que nous deux, seuls, demeurions vierge de ce joujou qui fait commettre tant de vilenies à de bons garçons. […] Aimons les fleurs, Monet, la merveilleuse nature, l'art consolateur et jetons sur le reste ce bon regard de l'indifférence qui fait les sages et les heureux… Oui, mais, il ne faudrait pas avoir mal à la tête, ni à l’estomac".

Et au printemps 1895, alors que Monet se démène contre les autorités administratives à propos de la vente du marais communal de Giverny où pourrait s’installer une quelconque industrie, Mirbeau est intervenu en écrivant au Préfet de l’Eure, lui ayant expliqué qu’après tous les chefs-d’œuvre que ce petit coin de terre a inspiré à Monet, il était du devoir du gouvernement de protéger un paysage comme on protège une œuvre d’art. Il s’est également adressé à Georges Hecq (ancien chef du secrétariat des Beaux-Arts au cabinet du ministère) et à cet imbécile de Pol Neveux dont il a flatté la vanité, mais Monet ne doit pas trop attendre des hommes politiques, puisqu’étant artiste ("admirable il est vrai"), il n’est rien et ne compte pas à côté d’un électeur ! Enfin, à plusieurs reprises, il encourage son ami à ne pas douter de son talent, à la veille de l’exposition des Cathédrales, précisant qu’il garde un souvenir délicieux des toiles que Monet a rapporté précédemment de Norvège.

"Vous voilà, comme les acteurs qui ont le trac, avant leur entrée sur scène ! Mais c’est inouï, ce que vous allez montrer au public ! C’est de la beauté neuve, comme la peinture n’en avait pas encore offert aux regards et au songe de l’artiste. Cela va marquer une date nouvelle, qui restera éblouissante, dans l’évolution de notre esprit et la marche de votre œuvre. Et vous doutez !... Jamais, peut-être, vous n’avez atteint, comme dans vos cathédrales, à la possession totale de la nature dans le rêve !". Vantant sa compréhension merveilleuse de la lumière circumpolaire, il l’engage à ne pas se préoccuper de possibles imbéciles : "il y a toujours des gens qui vont chercher des poux dans la tête des Dieux !". 

L. Venturi. Les Archives de l'impressionnisme […] Mémoires de Paul Durand-Ruel. Paris - New York , Durand-Ruel éd., 1939.

 

Pour les lettres de Monet à Durand-Ruel : Wildenstein. Claude Monet. Biographie et catalogue raisonné, vol. II (1882-1886).


Au printemps 1886, Durand-Ruel avait présenté une partie de sa collection de tableaux impressionnistes sous l’égide de l’American Art Association de New York. Il rapporte dans ses mémoires l’immense succès de curiosité que cette exposition ("Works in Oil and Pastel by the Impressionists of Paris") remporta, à l’inverse du tapage provoqué à Paris et comment une seconde exposition fut alors envisagée pour le mois de décembre 1886. Retardée en raison des démarches faites par ses confrères américains, elle n’ouvrit que le 25 mai suivant et n’eut pas le résultat financier escompté, malgré un ensemble d’œuvres remarquables, mêlant cette fois les peintres à leurs grands prédécesseurs de l’école de 1830. Cette exposition intitulée "Celebrated paintings by great French masters in New York" où furent exposées une douzaine de tableaux de Monet, entre autres, conforta la position de Durand-Ruel auprès du public américain.

"Notre installation à New-York, en élargissant le champ de nos opérations, nous a permis de sortir peu à peu de toutes les difficultés dans lesquelles je m’étais débattu pendant si longtemps, de rembourser toutes les sommes que des amis m’avaient prêtées, et de nous occuper de nos affaires en toute tranquillité. Nos succès ont également profité aux artistes à la cause desquels je m’étais attaché. Non seulement la valeur de leurs œuvres n'a cessé de s’accroître graduellement, mais elle atteint maintenant des chiffres considérables" (Les Archives de l'impressionnisme, p. 219).