Lettre autographe signée à Jean Dubuffet. Rodez, 12 décembre 1945. Écrite lors de ses dernières semaines d'internement.
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Description
Artaud, Antonin
Lettre autographe signée à Jean Dubuffet.
Rodez, 12 décembre 1945.
8 pages in-4 (214 x 165 mm), au crayon, sur papier quadrillé, mention autographe en-tête "Lettre recommandée".
Artaud, entre délire de persécution et quête mystique, exprime son désir de quitter la France et de se rendre au Tibet, "comme je suis allé au Mexique en 1936" dès qu'il pourra quitter l'hôpital de Rodez.
Peu de temps après la parution des Voyages au pays des Tarahumaras aux éditions Fontaine dirigées par Henri Parisot.
Artaud reproche à Dubuffet de le croire incapable de réaliser ce projet, alors qu’il est persuadé de pouvoir parvenir à son but, malgré toutes les difficultés qui pourraient se présenter et les manœuvres d’envoûtement dont il est la cible.
"J'ajoute qu'il va paraître un livre de lettres [Les Lettres de Rodez, publiées en février 1946 par GLM] qui donne toutes les précisions sur les causes et les antécédents de mon internement et qui fera comprendre aux quelques honnêtes consciences qui restent encore au monde que cet internement est une saloperie que l'on m'a faite justement pour m'empêcher d'aller au Thibet entreprendre certaines investigations semblables à celles que j'ai entreprises chez les Tarahumaras. […]
Ce n'est pas que je sois susceptible, Jean Dubuffet, mais j'ai toujours prisé par-dessus tout l'intelligence et l'honnêteté et ce sont les 2 raisons de l'amitié que j'ai toujours portée à Jean Paulhan et que je vous ai aussi porté en faisant connaissance avec vous. Or Jean Paulhan connaît très bien l'histoire de la vie et un homme qui connaît comme lui les 2 tentatives d'assassinat dont j'ai été victime, une à Marseille en 1916 devant l'église des Réformés, et l'autre sur le ‘Washington’ à mon retour d'Irlande, ne peut pas se montrer si chagriné de me voir impatient de quitter la France et l'Europe où j'ai tellement souffert.[…]
Alors c'est donc que vous aussi Jean Dubuffet êtes tombé dans l'état d'esprit social de la généralité des gens qui prétendent que mes travaux actuels sont les travaux d'un malade parce qu'ils ne veulent plus comprendre l'évolution véritable de l'esprit d'Antonin Artaud. Me reposer l'esprit c'est composer de grands dessins et écrire des poèmes. Et je ne pense pas que vous veuillez me suggérer de ne plus écrire et de ne plus dessiner. Je vous ai lu un passage de mon nouveau livre que vous avez trouvé vous-même éloquent, et montré des petits dessins. Car mon travail est mon repos.
En attendant son voyage au Tibet, il envisage d’aller dans le midi se reposer "avec des amies qui s'occuperaient de mon intérieur et y avoir enfin une bonne nourriture loin des malades, des infirmiers et hors l'atmosphère des maisons de santé et des asiles d'aliénés, dans une maison de campagne sans radio et avec quelques livres. J'y arriverai certainement".
La rencontre entre Dubuffet et Artaud par l’intermédiaire de Jean Paulhan, et à travers l’intérêt de Dubuffet pour l’art des "fous" et des marginaux eut lieu à la fin de l'été 1945. Entre visites à l’hôpital psychiatrique de Rodez à partir du mois de septembre 1945 et échanges épistolaires, Dubuffet devint un acteur actif de la libération d’Artaud. Secrétaire du "Comité de soutien des amis d’Antonin Artaud", un temps trésorier et gestionnaire des fonds recueillis , il fut présent pour accueillir Artaud lors de son retour à Paris, le 26 mai 1946. Mais leurs échanges ne furent pas matériels, leurs recherches artistiques respectives se plaçant au centre d’une véritable amitié.
Le 28 novembre 1945, Dubuffet écrivit à Artaud pour lui exprimer son admiration après la lecture du Théâtre et son double. "J’ai été surpris d’y retrouver toutes les conceptions qui sont aussi depuis longtemps les miennes propres sur l’art et sur le théâtre, aussi j’y souscris entièrement. Ce sont des idées du même ordre, très parentes de vos idées sur le théâtre, qui guident et conditionnent mes travaux de peinture. C’est vous dire à quel point votre admirable livre m’est cher et précieux".
[On joint :]
Hommage à Antonin Artaud. Tract de la manifestation organisée au bénéfice d'Artaud en juin 1946 : lectures au théâtre Sarah Bernhardt, exposition de peintures, dessins, sculptures et manuscrits à la Galerie Pierre, et vente aux enchères (deux fascicules in-8, dont un avec annotations manuscrites). Avec 4 feuillets in-12 détachés d'un carnet et un carton d'invitation au nom d'Adrienne Monnier présentant des résultats d'adjudication.
Photocopies de documents relatifs au "Comité des Amis d'Antonin Artaud", de lettres du dr. Ferdière à Paulhan, une lettre d'Artaud au même, etc.
Transcription :
Votre courte lettre tapée à la machine m'a paru si étrange que je me suis demandé si c'était bien vous qui l'aviez écrite, c'est pourquoi j'ai regardé de très près la signature, car je ne me rappelle pas dans mes lettres avoir montré de l'impatience mais seulement d'avoir manifesté le dessein de quitter la France pour aller dans un autre pays. Vous me dites que ‘le temps n'est pas encore pour ce que j'indique’. Or dans mes lettres je ne vois pas que j'ai préconisé de panacée pour le mal de ce monde, et je ne vous y ai pas indiqué autre chose que mon dessein d'aller présentement au Thibet [sic] comme je suis allé au Mexique en 1936. Justement, le récit de ce voyage vient de paraître en librairie et peut-être ne savez-vous pas qu'il m'a été vivement aussi déconseillé à l'époque sous prétexte que je n'étais pas assez fort et assez en bonne santé pour entreprendre un si difficultueux et si lointain voyage, mais en réalité, pour m'empêcher de voir de près certaines pratiques de magie qui ont fait de mon voyage à cheval dans la montagne le martyre que je raconte. Dans la danse du Peyotl. J'ai donc passé outre à toutes les difficultés et suis arrivé à mon but. Et cette fois-ci aussi Jean Dubuffet je passerai outre à toutes les difficultés et parviendrai à mon but qui est de quitter la France et d'aller au Thibet, comme je suis allé au Mexique en 1936. J'ajoute qu'il va paraître un livre de lettres qui donne toutes les précisions sur les causes et les antécédents de mon internement et qui fera comprendre aux quelques honnêtes consciences qui restent encore au monde que cet internement est une saloperie que l'on m'a faite justement pour m'empêcher d'aller au Thibet entreprendre certaines investigations semblables à celles que j'ai entreprises chez les Tarahumaras. C'est un bruit crapuleux qui a été répandu partout en 1937 Jean Dubuffet et qui consistait à dire que M. Antonin Artaud était malade, parce qu'il voulait faire sortir sa poésie des livres et la vivre dans la vie. N'avez vous donc pas entendu parler des Mystères du Moyen-Âge où des cités entières à de certains jours chantaient et dansaient avec les acteurs. Mais de vos dessins aussi, certaines crapules ont dit que c'étaient des dessins de malade comme elles vous ont dit que j’étais malade. Ce n'est pas que je sois susceptible, Jean Dubuffet, mais j'ai toujours prisé par-dessus tout l'intelligence et l'honnêteté et ce sont les 2 raisons de l'amitié que j'ai toujours portée à Jean Paulhan et que je vous ai aussi porté en faisant connaissance avec vous. Or Jean Paulhan connaît très bien l'histoire de la vie et un homme qui connaît comme lui les 2 tentatives d'assassinat dont j'ai été victime, une à Marseille en 1916 devant l'église des Réformés, et l'autre sur le "Washington" à mon retour d'Irlande, ne peut pas se montrer si chagriné de me voir impatient de quitter la France et l'Europe où j'ai tellement souffert.
Et ceci pour fuir certaines manœuvres d'envoûtement qui me sont faites de la part de certaines personnes connues de tous et qui ne veulent pas justement me permettre de les désigner. C'est d'ailleurs en effet Jean Dubuffet l'axe de tout le débat, qu'il y ait tant de malhonnêtes gens qui m'envoûtent et s'abritent derrière une accusation de maladie pour dissimuler leurs abominables manœuvres contre moi. Je croyais vous avoir bien expliqué tout cela lors de votre visite ici, c'est pourquoi il m'a été tellement pénible de vous entendre me dire d'être complétement remis pour me livrer à de nouveaux projets.
Alors c'est donc que vous aussi Jean Dubuffet êtes tombé dans l'état d'esprit social de la généralité des gens qui prétendent que mes travaux actuels sont les travaux d'un malade parce qu'ils ne veulent plus comprendre l'évolution véritable de l'esprit d'Antonin Artaud. Me reposer l'esprit c'est composer de grands dessins et écrire des poèmes. Et je ne pense pas que vous veuillez me suggérer de ne plus écrire et de ne plus dessiner. Je vous ai lu un passage de mon nouveau livre que vous avez trouvé vous-même éloquent, et montré des petits dessins. Car mon travail est mon repos. Quant au repos du corps, je vous ai dit que je voulais en attendant mon voyage au Thibet, aller dans le midi me reposer avec des amies qui s'occuperaient de mon intérieur et y avoir enfin une bonne nourriture loin des malades, des infirmiers et hors l'atmosphère des maisons de santé et des asiles d'aliénés, dans une maison de campagne sans radio et avec quelques livres. J'y arriverai certainement.
À vous.
Antonin Artaud.
Rodez en septembre 1945.
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