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Dubuffet, Jean

Correspondance à Jean Giono, 1946-1948, relative au peintre Louis Soutter et aux Cahiers de L’Art Brut.

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June 19, 01:10 PM GMT

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3,000 - 4,000 EUR

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Lot Details

Description

Dubuffet, Jean

10 lettres signées à Jean Giono, autographes ou tapuscrites.

1946-1949.

 

12 pages in-4 ou in-8 (270 x 210 à 90 x 140 mm), dont une carte postale, avec adresse d'une autre main. 2 lettres autographes et 8 tapuscrites, certaines avec ajouts autographes.

 

Superbe correspondance relative au peintre suisse Louis Soutter et aux débuts difficiles des Cahiers de L’Art Brut.

 

Dubuffet, souhaitant consacrer un de ces Cahiers à l’œuvre de Soutter, sollicite la participation de Giono.

 

─ Vendredi 10 mai [1946]. "Très cher Jean Giono que c'est gentil à vous de me dire mon cher ami et je vous dis à mon tour mon cher ami. Pendant la guerre j'étais soldat, simple soldat et je ne décolérais pas, j’ai vu une fois dans un journal qu'on vous avait mis en prison, ça m'a fait un très grand plaisir et je ne manquais pas à tous les gens que je rencontrais, spécialement le sergent-chef, etc. de leur annoncer sur un ton très alarmé : Ils ont mis Jean Giono en prison. Je crois que ça n'était pas vrai, qu'on a démenti ensuite dans un autre journal, ça m'a contrarié, mais je n'en ai tenu aucun compte et ai continué très longtemps à publier la nouvelle qu'on venait de vous mettre en prison." Il relate la forte impression que lui a fait la pièce de Giono, Au bout de la route, qu’il a vu deux fois aux Noctambules alors qu'il ne va jamais au théâtre.


─ Mardi [8 avril 1947]. Évocation de l’expérience carcérale de Giono (en 1939 pour ses activités pacifistes et en 1944, soupçonné de collaboration). "La prison est une chose qui m'a toujours fait envie, c'est sûrement une des plus belles fêtes de ce monde mais tout de même deux mois et six mois c'est bien un peu long et il doit y avoir de durs moments dans cette fête-là mais ça constitue un diplôme passablement plus savoureux que l'épée d'honneur des autres. Bien bravo pour ces huit mois d'honneur et je vous salue bien bas pour ces huit mois". Dubuffet se fait ensuite l’écho d’un article malveillant sur son ami Charles-Albert Cingria paru "dans le très détestable hebdomadaire du nom Les Lettres Françaises" et a décidé de rédiger une lettre qu’il adressera à une centaine de personnes (voir infra, pièce jointe).


─ Paris, dimanche 20 avril [19]47. "J'ai depuis bien longtemps l’idée que l'art révéré dans les musées et galeries de tableaux des grandes capitales n'est que faux semblant et vide défroque et que l'art véritable et vivant fleurit sur d'autres chemins (moins fréquentés). Je me suis par moments passionnés [sic] à des recherches de cet ordre au cours de ces années dernières et j'ai réuni des collections de documents photographiques concernant des productions autrement fiévreuses et chargées que celles des Picasso et consorts. J'ai eu idée de publier ces documents, accompagnés quand besoin sera de commentaires élaborés par des personnes qualifiées, dans une suite de cahiers sous le titre ‘L'Art Brut’". Dubuffet décrit la composition du futur cahier sur Louis Soutter : un article du peintre suisse René Auberjonois et 26 photographies de ses dessins et peintures, certaines appartenant au marchand de tableaux Vallotton et d’autres à Le Corbusier, parent de Soutter. Il suggère à Giono, s’il accepte de collaborer à l’élaboration de ce cahier, de corser éventuellement son texte avec des reproductions qu’il pourrait posséder "malgré que le père Gallimard est si radin". "Moi je suis très passionné des dessins de Soutter et bien désireux de voir les vôtres. C'est embêtant que Manosque est si loin, mais j'essaierai une fois d'y aller quand même vous saluer, vous dire les joies que j'ai eues à Pour saluer Melville et Au poids du ciel et à d'autres de vos livres, et goûter à cette soupe au vin que vous avez vanté et que j'ai toujours en tête". Dans la marge à l'horizontale, il ajoute qu'il revient d'un séjour au fin fond du Sahara, "tout ahuri de me retrouver dans ce Paris maussade. Là-bas au plus loqueteux des mendiants, la vie est une fête au lieu que les Parisiens n'ont pas la mine en fête. Ah non, pas du tout".


─ Lundi 28 avril [1947]. Giono a accepté la proposition de Dubuffet qui le remercie pour cet hommage rendu à Soutter. "Et puis de ce beau mot demius que vous employez à son sujet, qui l'aurait beaucoup exalté. Naturellement c'est sur l'homme qu'il faut écrire, pas sur l'art. L'art parle bien assez tout seul. Je me réjouis énormément de cette évocation que vous allez faire de ce si aimable homme. J'en ferai mon grand et constant usage. Cela fera partie de ma trousse permanente de mon bagage le plus intime et le plus précieux". Il lui envoie donc les photos qu’il possède ainsi que l’article de René Auberjonois, puis affirme s’être entendu avec Gallimard pour que paraisse prochainement le premier Cahier de L’Art Brut sur les "Barbus Müller" [ce premier fascicule sera imprimé mais jamais distribué dans le commerce par Gallimard, voir infra, lettre du 7 août 1948]. Il clôt sa lettre en relatant une anecdote au sujet de Louis Soutter, aperçu par l'éditeur Louis Mermod, en train de marcher seul sur une route du Valais, en zigzagant et en soliloquant d'une manière agitée et exaltée.


─ Dimanche 4 mai [1947]. Il reconnaît que l’article d’Auberjonois sur Soutter est quelque peu décevant. "Les personnes étrangères à la littérature, et s'il s'agit d'un texte destiné à la publication, il n'y a plus rien de naturel dans leurs propos. C'est comme pour les personnes mal familiarisées avec la radio qui doivent parler devant le micro. Moi par exemple la semaine dernière, qui, interrogé au sujet précisément de ces cahiers de ‘l'Art Brut’ a répondu par un si insipide bafouillage que je n'ai même pas voulu l'écouter hier soir quand ça a passé au programme".


─ Samedi 7 août 1948. Relative au premier cahier de l'Art Brut que Gallimard a fait imprimer mais sans le distribuer, ayant préféré céder au galeriste Drouin la charge de publier les cahiers suivants et de les diffuser lui-même, mais "avec René Drouin on tombe de Charybde en Scylla […] De sorte que la collection des Cahiers de L'Art Brut est en grave panne". Dubuffet ne sait donc pas si l'article de Giono sur Louis Soutter pourra voir le jour. Mais il est en contact avec le directeur du musée de Winterthur en Suisse dont la revue Werk pourrait peut-être l’accueillir. "J'ai passé six mois (de novembre à fin avril) au fin fond du Sahara. Pendant ce temps a fonctionné le ‘Foyer de l'Art Brut’ dans des salles du sous-sol de la Galerie René Drouin, sous la direction de mon ami Michel Tapié. Maintenant nous allons transférer ce ‘Foyer’ dans un pavillon que Gallimard a mis à notre disposition et que nous sommes en train d'installer, nous y conserverons nos objets et y ferons nos expositions. C'est dommage que vous ne puissiez pas voir cela, je sais que cela vous intéresserait beaucoup. Il se trouve pas mal de gens que cette activité de l’’art brut’ intéresse beaucoup. Pas Gaston Gallimard malheureusement, du moins pas les Cahiers."

Il a cherché en vain le paquet de photographies de dessins et de peintures de Soutter, qui sont peut-être encore entre les mains de Giono.


Jeudi 12 août [1948]. Il n’exclut pas que la panne des Cahiers de L’Art Brut prenne fin, "que ce vaisseau voie de nouveau ses voiles gonflées par le vent" et qu’enfin soit éditée l’étude de Giono sur Soutter, par eux ou par un autre éditeur. Il donne des nouvelles de Jean et Germaine Paulhan.


─ Mercredi 6 octobre [1948]. Toujours à propos des photographies, retrouvées, et du refus de Gallimard ne ne pas poursuivre la publication des Cahiers. En revanche, se prépare un Almanach 1949 de L'Art Brut où il aimerait insérer une reproduction d'un dessin ou d'une peinture de Soutter.


─ Lundi 10 ou 11 octobre [1948]. Il accuse réception des photographies que lui a renvoyées Giono. Il pense pouvoir profiter avec Jean Paulhan de l'invitation de Giono et aller passer deux ou trois journées à Manosque, "qui nous reposeront de l'affreux Paris. […] Je voudrais beaucoup faire connaissance avec vous et parler avec vous".


─ [Paris 7 octobre 1949]. Carte postale invitant cordialement Giono à la première exposition collective de l’Art brut à la Galerie Drouin.

 

[On joint :]

DUBUFFET, Jean. Lettre dactylographiée au rédacteur en chef des Lettres FrançaisesParis, 9 avril 1947 (1 p. in-4).

Lettre ouverte en réponse à un entrefilet anonyme publié le 4 avril précédent dans Les Lettres Françaises, accusant Cingria de propos collaborationnistes dans les salons parisiens de l’après-guerre. "M. Cingria est une des plus hautes figures des lettres françaises (pas du tout des lettres helvétiques). […] Un pur poète, préoccupé seulement de ses créations ravissantes, qui sont autrement précieuses que vos stériles chicanes de politique […] Donc il faut le laisser en paix dans vos débats et propagandes, ne jamais mentionner son nom qu’avec les plus grands égards".


TAPIÉ, Michel. Lettre dactylographiée, signée, à Jean Giono. Paris 1er novembre 1947 (1 p. ½ in-8, en-tête de la Galerie René Drouin).

De la part de Dubuffet, il lui demande s’il accepterait de prêter des documents sur Louis Soutter pour l’inauguration de la salle d’exposition mis à disposition par René Drouin et réservée à l’Art Brut.

M. Layaz. Louis Soutter, probablement, éd. Zoé, 2016.

Personnalité tourmentée, Louis Soutter (Morges 1871-1942) mena une existence instable et dispendieuse, exerçant diverses activités plus ou moins éphémères, entre architecture, musique et peinture. Après avoir vécu aux crochets de sa famille, il fut placé à l’âge de 51 ans, dans un asile de vieillards à Ballaigues, dans le Jura. C’est là que pendant vingt ans, en marge de tout circuit artistique et de la société elle-même, il produisit la plus grande partie de son œuvre picturale, soutenu par un cercle restreint d’amis et d’admirateurs, comme son compatriote le peintre René Auberjonois, son cousin Le Corbusier ou encore Jean Giono. Ce dernier avait fait sa connaissance par l’intermédiaire d'une cousine, Antoinette Fiorio, qui travaillait à l'asile de Ballaigues et qui organisa leur rencontre.