Artaud, Antonin

Artaud, Antonin

Lettre autographe signée à Adrienne Monnier.

Rodez 25 [pour 28 ?] avril 1944.

2 pages in-4 (251 x 174 mm), avec enveloppe de papier bleu, d'une autre main : "A Mme Monnier / de la part de M. Artaud".

Étonnante lettre de délire mystique adressée à l’éditrice et fondatrice de la librairie "La Maison des Amis des Livres" dans laquelle Artaud affirme ne pas être Antonin Artaud mais un autre homme, victime de magie noire.

"Je sais que vous aimez beaucoup ce qu’Antonin Artaud écrivait mais si vous l'avez compris en amie, en cœur, en fait et non seulement mentalement, intellectuellement et cérébralement, vous devez croire ce que je vais vous dire ici […] Je ne suis plus Antonin Artaud parce que je n'en ai plus le moi, ni la conscience ni l'être. Bien que je sois dans le même corps que lui et que civilement et légalement je porte le même nom que lui et que cette lettre ci soit signée de ce nom là parce que sur cette terre-ci je ne puis en avoir d'autre. […] . Les vies successives existent, mais qui par hasard commet la faute de s'en souvenir publiquement et de le proclamer est incarcéré, torturé, encamisolé, empoisonné et traité ensuite de monomaniaque, de la folie de persécution, de délirant et d'halluciné quand il s’en plaint. C'est ce qui m'est arrivé".

Adrienne Monnier aurait été à ses côtés ce jour même et pourrait témoigner d’une "monstrueuse coalition de magie noire que vous connaissez fort bien puisque vous avez vous l'avez [sic]  vue de vos yeux et que vous avez vu avec moi-même aujourd'hui, vendredi 28 avril vers 10 h. 1/2 du matin, le supplice de Sainte Jeanne d'Arc et la mise en tranches des catholiques anglais dans la Renaissance sur l'ordre d'Henri VIII et d'Elisabeth. Cela est beau dans les livres et délicatement goûté par le dilettantisme des lecteurs mais affirmé par un homme comme moi comme vrai, cela vaut l'internement, la camisole, les piqûres antisyphilitiques et des traitements électriques de choc (électrochoc) afin de lui enlever toutes ces idées folles de l'esprit. […] Vous qui savez la vérité Adrienne Monnier confessez la, vous réaliserez un acte de justice et Dieu vous le rendra certainement car il existe et il est vrai et non mythique, quoi qu'en pense le monde de démons au milieu duquel nous vivons et qui nous torture parce que nous croyons en Dieu".

En mars 1939, de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, Artaud avait écrit à Adrienne Monnier la fameuse lettre, titrée Le Livre de Monelle, dans laquelle il évoquait déjà le phénomène des doubles réels, les envoûtements, le rôle des Initiés qui connaissent la vérité et les Non-Initiés "qui ne savent pas que la vie est entièrement truquée". Séduite par la richesse imaginative né du délire d’Artaud, Adrienne Monnier avait peu après publié cette lettre dans sa Gazette des amis des livres (bulletin n° 6-7).

À propos de l’évocation du supplice de Jeanne d’Arc, il faut se rappeler que dans le film de Carl Dreyer, La Passion de Jeanne d’Arc (1928), Artaud interpréta le rôle du prêtre Jean Massieu, dont les dépositions figurent dans les actes du procès. Il est possible que ce personnage de prêtre qui accompagne Jeanne jusqu’au bûcher, témoin de la dévotion de la sainte jusque dans les flammes, a pu le marquer durablement.