View full screen - View 1 of Lot 13. Lettre autographe signée à Maurice Saillet. [Paris] 8 février 1947. Relative à la conférence donnée au théâtre du Vieux-Colombier, le 13 janvier, intitulée "Histoire vécue d’Artaud-Mômo"..

Artaud, Antonin

Lettre autographe signée à Maurice Saillet. [Paris] 8 février 1947. Relative à la conférence donnée au théâtre du Vieux-Colombier, le 13 janvier, intitulée "Histoire vécue d’Artaud-Mômo".

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June 19, 12:13 PM GMT

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Lot Details

Description

Artaud, Antonin

Lettre autographe signée à Maurice Saillet.

[Paris] 8 février 1947


4 pages in-8 (172 x 135 mm), à l’encre bleue, enveloppe à l’adresse de Saillet aux Amis des Livres.

 

Une des trois lettres qu’Artaud adressa à Saillet, après la conférence publique donnée au théâtre du Vieux Colombier le 13 janvier 1947.

 

Intitulée "Histoire vécue d’Artaud-Mômo - Tête à tête par Antonin Artaud", il s’agissait pour le poète de témoigner de ses révélations à travers son expérience vécue et la lecture de poèmes. Mais la conférence s’interrompit brutalement lorsqu’Artaud fit tomber involontairement les feuillets de son texte sans pouvoir reprendre son discours.

Dans le journal Combat du 24 janvier 1947, Maurice Saillet avait rendu compte de cette terrible expérience et dans un second article, le 8 février, il avait de nouveau évoqué cet orage mental auquel le public avait assisté. Artaud le remercie d’avoir compris ce qui n’était pas "au programme" : les envoûtements des forces sombres, "cette immense organisation souterraine de manœuvres et d'actions qui sont un complot perpétuel contre la conscience de tous".

 

"Les vociférations non préparées de mes poèmes où il n'a pas paru possible de faire autre chose que de souffrir au naturel toutes les plaies décrites dans ceci, sont bien tout ce que j'ai jamais compris du théâtre. Ce n'est qu'au moyen non d'exalter des mythes, mais de faire affleurer la vie sous l'épiderme, comme le prurit d'une terrible démangeaison. […]

Nous, nous croyons libres, mais il n'est pas une de nos paroles qui dans notre bouche vive autrement que décollée des cieux.

C'est le point que j'ai voulu accuser mais c'est là que la force s'est élevée, et en réalité Maurice Saillet mes révélations sur les envoûtements ne sont pas tombées à vide comme vous le disiez dans votre premier article, mais c'est là que j'ai au contraire vécu la vraie douleur et je vous remercie d'avoir dit […] que cette douleur, avec le danger qui l'accompagne, vous l'aviez vécue avec moi. C'est là que je me suis rendu compte que pour briser la barrière de béton armé qui est devant la tour de beurre, où chaque homme né au Thibet, fait son beurre sur Artaud Momo en particulier, aucun texte ne suffisait plus mais il fallait passer à l’action directe.

Faire sauter la tour de beurre avec les bombes et le canon. Ça viendra".

 

Premier retour sur scène après des années d’internement, cette conférence fut également la dernière apparition publique d’Artaud.


Les textes préparatoires de cette représentation mythique ont été publiés à titre posthume (Œuvres complètes, Gallimard, tome XXVI).

Des extraits peuvent également être écoutés en ligne, interprétés par Philippe Clevenot : https://www.youtube.com/watch?v=OO-pI6LxSqM

 

 Sur Maurice Saillet, voir aussi lots 88 (lettres de Dubuffet) 140, 141 et 146 (éditions de Michaux avec envois à Saillet).

Transcription :

 

Je ne peux m'empêcher de vous écrire encore une fois, pour vous remercier, une bonne et définitive fois des quelques nouvelles lignes que vous venez de consacrer dans ‘Combat’ à ma séance du Vieux-Colombier. Les vociférations non préparées de mes poèmes où il n'a pas paru possible de faire autre chose que de souffrir au naturel toutes les plaies décrites dans ceci, sont bien tout ce que j'ai jamais compris du théâtre. Ce n'est qu'au moyen non d'exalter des mythes, mais de faire affleurer la vie sous l'épiderme, comme le prurit d'une terrible démangeaison. Tout cela est entendu, mais c'est du reste, de ce qui n'était pas dans le programme que je veux vous remercier. Le reste et cette épine que j'ai au pied depuis ma vie entière, le monde qui n'est pas occulte mais qu'on a si bien occulté des envoûtements où la vie plonge, de cette immense organisation souterraine de manœuvres et d'actions qui sont un complot perpétuel contre la conscience de tous et dont personne jamais ne dit mot, parce que cela est interdit. Et par qui ? Par les profiteurs de l'action eux-mêmes ! Nous ne serions pas ce que nous sommes et la vie ne serait pas ce qu'elle est s'il n'y avait pas au fond de tout la [foi ?] innombrable et toujours renouvelée des détenteurs d'une force sombre, qui une fois pour toutes croient-il ont établi le moule humain, ont façonné le type humain, ont garrotté le corps humain, ont cimenté la vie humaine comme dans un four de chaux, de sable, de bitume et de ciment armé.

Nous, nous croyons libres, mais il n'est pas une de nos paroles qui dans notre bouche vive autrement que décollée des cieux.

C'est le point que j'ai voulu accuser mais c'est là que la force s'est élevée, et en réalité Maurice Saillet mes révélations sur les envoûtements ne sont pas tombées à vide comme vous le disiez dans votre premier article, mais c'est là que j'ai au contraire vécu la vraie douleur et je vous remercie d'avoir dit comme vous le dites cette fois dans votre second article que cette douleur, avec le danger qui l'accompagne, vous l'aviez vécue avec moi. C'est là que je me suis rendu compte que pour briser la barrière de béton armé qui est devant la tour de beurre, où chaque homme né au Thibet, fait son beurre sur Artaud Momo en particulier, aucun texte ne suffisait plus mais il fallait passer à l’action directe.

Faire sauter la tour de beurre avec les bombes et le canon. Ça viendra.

À vous, Antonin Artaud.