
XIXe siècle (lots 30 à 57)
Lettre autographe signée au compositeur suédois William Molard. Gauguin évoque son installation à Punaauia et sa marotte : "la musique suggérée par la vue".
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November 20, 10:34 AM GMT
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15,000 - 20,000 EUR
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Description
Gauguin, Paul
Lettre autographe à "ses chers amis" [William Molard, Ida Ericson et Judith Arlberg-Molard].
[Tahiti, novembre 1895].
3 pages ¼ in-4 sur un bifeuillet (269 x 211 mm). Encre sur papier. Signée "Paul Gauguin".
"Ah ! Le rêve comme il est facile de le trouver réel […]."
Longue et très belle lettre, apparemment inédite, au compositeur suédois William Molard, à sa femme Ida et la fille de celle-ci, Judith.
Gauguin y évoque son installation à Punaauia et sa marotte : "la musique suggérée par la vue".
En 1895, las de l’agitation parisienne, Gauguin a décidé de repartir à Tahiti. Fin juin, il écrit à William Molard depuis Auckland où il attend le steamer pour Tahiti. Le mois suivant, il lui annonce son arrivée "en bonne santé" (Lettres à sa femme et ses amis, n° CLIX). Quelques mois plus tard, il se confie à ses amis en se félicitant de la quiétude enfin retrouvée.
"Que je vous plains de ne pas être à ma place tranquillement assis dans la case ; j’ai devant moi la mer et Morea qui change d’aspect tous les quarts d’heure, un paréo, et c’est tout : pas de souffrance du chaud ni du froid, ah l’Europe ! En ce moment à Tahiti grande politique. Vous savez ou vous ne savez pas que 3 îles depuis 1840 étaient en état de révolte, prétendant se gouverner elles-mêmes Hiahine, Bora Bora, Raiata. Monsieur Chessé [Henri Chessé, gouverneur des Établissements français d'Océanie de 1880 à 1881] est venu ici pour ramener les enfants égarés. Deux ont cédé et le navire de guerre a été avec 400 tahitiens toutes les autorités et moi faire des fêtes de réconciliation. Je vous assure qu'on a parlé, hurlé, chanté 4 jours et 4 Nuits extraordinaires de réjouissance tout comme à Cythère. Vous n'avez pas une idée de cela en France. Il reste maintenant à conquérir Raiatea et cela c'est une autre histoire car il va falloir tirer le canon brûler, tuer ; - œuvre de civilisation à ce qu'il paraît. Je ne sais si attiré par la curiosité j'assisterai au combat et j'avoue que cela me tente mais d'un autre côté cela m'écœure. Drôle de Reine que celle de Bora Bora, et ma foi un esprit prévoyant […]".
Après avoir décrit les fêtes que la reine de Bora Bora souhaite organiser, Gauguin s’inquiète de savoir si le café des Variétés l’a payé.
Le peintre avait en effet vendu, peu avant son départ, quelques toiles au propriétaire du café, Alexandre Bauchy. Il confesse : "Quelle drôle de destinée qu’est la mienne, celle d’être toujours dans l’alternative : être toujours à une table de jeu où je ne gagne pas souvent […]."
Puis il évoque l’une de ses marottes : la synesthésie qu’il intègre à son œuvre. Sa peinture ne doit pas être perçue seulement par le regard, mais par tous les sens. Chaque couleur se doit d’évoquer une musique ou une sensation transposant ainsi le célèbre vers de Baudelaire dans Correspondances "les parfums, les couleurs et les sons se répondent".
"Je vous envoie une photographie, j’espère qu’elle vous intéresse ; je trouve que malgré le côté statique où sont accroupies ces femmes il y a à mon oreille un certain rythme sinon barbare du moins très primitif. Il est vrai que je suis porté à voir cela à cause de ma Marote [sic]- (la musique suggérée par la vue). On dit que dans l'obscurité on ne sait pas si on fume réellement son cigare. Moi je ne peux pas voir un singe souffler dans un sucre d'orge sans avoir à mon oreille la perception de sons. Ah ! le rêve comme il est facile de le trouver réel [...]".
Il avoue enfin avoir rêvé de Marguerite Arosa, fille de Gustave Arosa son tuteur, qui lui avait enseigné la peinture et que cela lui est "insupportable attendu qu’[il ne peut] pas la sentir".
À Tahiti depuis juillet 1895, Gauguin s’adresse à ses amis Molard qui avaient été ses voisins au 6 rue Vercingétorix à Paris. En effet, en novembre 1893, peu après l’échec de l’exposition de ses œuvres tahitiennes chez Durand-Ruel, le peintre s’installa à cette adresse, dans un petit deux-pièces, avec sa nouvelle maîtresse Annah la Javanaise et son inséparable guenon, Taoa.
William Mollard (1869-1936), compositeur suédois dont Gauguin réalisa le portrait entre 1893 et 1894 (au verso du célèbre Autoportrait au chapeau), et sa femme, la sculptrice Ida Ericson (1853-1927), recevaient fréquemment. De son côté, Gauguin aimait réunir, chaque jeudi, un aréopage de peintres, d’écrivains et de musiciens. Le 6 rue Vercingétorix devint rapidement un lieu incontournable où gravitèrent de nombreux artistes scandinaves mais aussi Le Douanier-Rousseau (voisin du n° 3), Alfred Jarry, etc.
William et Ida vivaient avec Judith Arlberg, la fille qu’Ida avait eue d’un premier mariage. Alors âgée de 14 ans, Judith participait activement aux soirées de la rue Vercingétorix. Gauguin avait envisagé, dès l’année précédente de l’accueillir en Bretagne s’engageant à en prendre soin comme un père. Il y renonça toutefois, jugeant que "peut-être qu’au point de vue des convenances il y aurait inconvénient" (lettre à William Molard, Pont Aven début juin 1894, Lettres à sa femme et ses amis, n° CLI). Judith devint peintre sous le nom de Judith Gérard et exposa à plusieurs reprises au Salon d’automne.
Gauguin entretenait une correspondance régulière avec William Molard. Si plusieurs lettres qui lui sont adressées figurent dans le recueil Lettres à sa femme et à ses amis (Grasset, 2003), celle-ci n’y apparaît pas. En revanche, en décembre 1895, Gauguin le remercie pour sa réponse et ses nouvelles, les "premières depuis [son] départ" (Lettres à sa femme et à ses amis, n° CLXI).
Cette lettre ne figure pas dans les Lettres à sa femme et ses amis (Grasset, 2003).
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