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XIXe siècle (lots 30 à 57)
Lettre autographe signée à son ami Émile Bernard. [Le Pouldu août 1889]. Illustrée d'un croquis original.
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November 20, 10:32 AM GMT
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Description
Gauguin, Paul
Lettre autographe signée, avec un dessin original, à Émile Bernard.
[Le Pouldu, août 1889].
4 pages in-8 (204 x 135 mm), à l’encre noire sur un bifeuillet, papier quadrillé. Signée "P. Go".
Superbe lettre écrite de Bretagne à son ami Émile Bernard.
Où il est question de peinture et de céramique, d’un départ projeté vers l’Orient, de la souscription lancée pour acheter l’Olympia d’Édouard Manet, d’articles publiés dans Le Moderniste illustré, de Vincent Van Gogh et de Madeleine Bernard, la sœur de son correspondant.
Illustrée par le croquis du pot anthropomorphe, en grès émaillé, que Gauguin décrira comme "une tête de Gauguin le sauvage" dans une lettre à Madeleine Bernard.
"Mon cher Bernard. Je vous remercie de votre belle et aimable lettre. Oui, je suis chagrin et c'est pourquoi je suis resté sans vous répondre. Toutes ces choses qui sont proches du cœur me touchent plus que je ne saurais le dire malgré toute la peine que je prends pour fermer mon cœur. Quant aux coteries ‘qui hurlent devant mes tableaux’, cela me fait peu de chose d'autant plus que moi-même je sais que c'est incomplet, plutôt un acheminement à des choses pareilles. Il faut en faire le sacrifice en art, périodes par périodes, essais ambiants, une pensée flottante sans expression directe et définitive. Mais bah ! une minute où on touche le ciel qui fuit après : en revanche, ce rêve entrevu est quelque chose de plus pressant que toute matière. Oui, nous sommes destinés (artistes, chercheurs et penseurs) à périr sous les coups du monde – mais périr en tant que matière. La pierre périra, la parole restera. Nous sommes en pleine mélasse, mais nous ne sommes pas encore morts. Quant à moi, ils n'auront pas encore ma peau. Si je peux obtenir ce que je demande en ce moment, une bonne place au Tonkin où je travaillerai ma peinture et ferai des économies. Tout l'Orient, la grande pensée écrite en lettres d'or dans tout leur art, tout cela vaut la peine d'étudier et il me semble que je me retremperai là-bas. L'Occident est pourri en ce moment et tout ce qui est Hercule peut comme Astrée prendre des forces nouvelles en touchant le sol de là-bas. Et on en revient un ou 2 ans après solide. En ce moment, je me recueille, fatigué mais non épuisé. Il fait peu de clarté dans une journée et je me repose en sculptant et en faisant des natures mortes. L'orage depuis 10 jours ne cesse de gronder. La mer balaye notre plage et sans nouvelles de Paris, tout cela est bien triste en ce moment.
Je trouve très drôle cet achat de l'Olympia maintenant que l'artiste est mort. Le prendra-t-on au Louvre ? Je ne crois pas et c'est à souhaiter. Parce que le vent gronde et que ce serait un apaisement. Il vaut mieux que l'inondation arrive plus colossale. C'est fatal et alors on achètera l'Olympia très cher comme le Millet. En ce moment plus il y a de bêtises, plus les temps meilleurs se devinent à l'horizon. Et vous qui êtes jeune, vous verrez cela. Quant à faire un article là-dessus, je n'y suis guère engagé par la réception de celui que j'ai fait cette année. À 2 lettres, Aurier [rédacteur en chef du Moderniste illustré] ne m'a pas répondu, telle une merde de chien le long d'un mur. Le Moderniste n'est pas venu et je n'ai pu lire le Maudit.
J'ai souri à la vue de votre sœur devant mon pot. Entre nous, je l'ai fait un peu exprès, tâter ainsi les forces de son admiration en pareille matière. Je voulais ensuite lui donner une de mes meilleures choses quoique pas très réussie (comme cuisson).
Vous savez depuis longtemps, et je l'ai écrit dans le Moderniste, je cherche le caractère dans chaque matière. Or le caractère de la céramique de gris est le sentiment du grand feu, et cette figure calcinée dans cet enfer en exprime je crois assez fortement le caractère. Tel un artiste entrevu par Dante dans sa visite dans l'enfer. Pauvre diable ramassé sur lui-même pour supporter la souffrance. Quoi qu'il en soit, la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a.
Vincent m'a écrit à peu près la même chose qu'à vous : que nous allons au maniéré etc. Je lui ai répondu !
Ah j'ai un plaisir à vous demander – Si vous pouviez me faire une photographie du pot bien en lumière avec des reflets qui colorent la face, se détachant sur un fond clair.
Cordialement, la main.
P. Go".
Et en post-scriptum, croquis du pot anthromorphe, à l’encre et au crayon, ajoutant : "À Madeleine, tous mes regrets de la rudesse de son pot".
Madeleine Bernard était alors âgée de 18 ans. Elle avait accompagné son frère lors d’un de ses séjours en Bretagne et y avait rencontré Gauguin qui tomba amoureux d’elle et qui fit son portrait, célèbre tableau réalisé au verso d’une autre toile, La Rivière Blanche. Mais c'est avec Charles Laval que la jeune fille partira pour l'Égypte l’année suivante.
Le premier article de Gauguin dont il est question ici, Notes sur l’art à l’Exposition universelle parut en deux parties dans Le Moderniste illustré des 4 et 13 juillet 1889 : l’artiste y parle longuement de la matière, dans l’art et dans l’industrie. Quant à celui qu’il envisage d’écrire sur la bataille que se livrent alors l’État français et des acquéreurs privés pour l’achat de L’Angélus de Millet, il sera bien publié, également dans Le Moderniste, le 21 septembre suivant sous le titre "Qui trompe-t-on ici ?".
Cette lettre a été datée de juin 1890 lors de sa publication, mais en raison notamment de l’évocation des articles parus dans Le Moderniste – il envoie à Gabriel Aurier, en août 1889, son article sur Millet – du récent lancement de la souscription pour l’achat d’Olympia, ainsi que les démarches entreprises pour obtenir un poste au Tonkin, on peut conclure qu’elle a été rédigée durant l’été 1889.
P. Gauguin. Lettres à sa femme et ses amis. Grasset, 2003. Lettre reproduite, à la date de 1890.
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